La redécouverte d’une œuvre constitue toujours un événement à part, se détachant du reste de la saison musicale. En cette fin du mois de novembre, c’est l’opera seria Siroe, Re di Persia qui est tiré de l’oubli par Max Emanuel Cenčić. Le contre-ténor a voulu faire découvrir au public francilien un des plus grands succès du compositeur rival de Haendel : Johann Adolph Hasse (1699 - 1783). Pour ce faire, il s’attribue non seulement le rôle-titre mais également la mise en scène de l’opéra, s’entoure de chanteurs aux signatures vocales marquantes et confie la direction musicale à George Petrou, accompagné de son ensemble Armonia Atenea. Une combinaison très réussie : un spectacle éblouissant, digne de la splendeur de l’Opéra Royal de Versailles.
« Siroe est un conte. En évoquant le destin du prince héritier Siroé, [il] veut nous dire que le bien l’emporte sur le mal. Ce conte se passe dans une Perse détachée de la réalité où les protagonistes sont inventés de toutes pièces et n’ont pas grand-chose à voir avec les personnages historiques de l’ancienne Perse. » Le texte introductif de Cenčić contextualise l’opéra de Hasse, qui déroule une intrigue servant de prétexte à générer des airs virtuoses et à illustrer une morale. L’histoire mêle intrigues politiques et amoureuses. Le vieux roi de Perse Cosroé doit choisir entre ses deux fils pour sa succession ; il préfère Medarse, le cadet hypocrite, à Siroé, l’aîné vertueux. Laodice, maîtresse du roi, est en réalité amoureuse de ce dernier et tente de le séduire ; lorsqu’il la repousse, elle se venge en le dénonçant à son frère. Emira, celle qu'il aime véritablement, déguisée en guerrier, a pour projet d'assassiner le père de son amant, responsable du meurtre de son propre père ; cependant elle ne peut révéler ni ses intentions ni son identité et se voit obligée d’accuser Siroé à sa place. Dès lors, le héros est jeté en prison par Cosroé mais sera finalement épargné, grâce au fidèle Arasse ; il deviendra roi avec Emira à ses côtés et accordera son pardon à tous ses ennemis.
La superbe mise en scène de Max Emanuel Cenčić plonge le spectateur dans un véritable univers de conte persan. L’esthétique choisie s’inspire d’un orientalisme raffiné : sur scène, des grilles orientales stylisées (moucharabiehs) coulissent pour permettre une structuration variée de l’espace. Le décor est complété par des voiles semi-transparents instaurant une ambiance à la fois pleine de mystère et de sensualité. Le plateau est également défini par la luminosité qui l’investit et dessine ses contours : elle change continûment, étant adaptée à chaque scène. Tout au fond, un écran sert à projeter des images d’ambiance (fleurs abstraites, volutes…) ou des éléments signifiants (des flammes, le portrait de Siroé lorsqu’il est emprisonné…), voire des vidéos (un couple s’embrassant pour représenter l’amour). Dans tous les cas, à chacun des airs, à chacune des humeurs des personnages, à chaque changement de situation correspond un tableau scénique travaillé, cohérent, merveilleusement beau, qui charme les sens et fournit un cadre délicieusement plaisant. Bravo donc à Bruno de Lavenère qui a réalisé les décors et les costumes – bien coupés, pas trop extravagants, dans de très belles matières – et à David Debrinay qui a conçu un jeu de lumières d’une finesse remarquable, couvrant toutes les nuances avec succès (du terrifiant noir des ténèbres à la douceur du vert printanier, en passant par l’or du soleil oriental et le rouge agressif de la haine).