Le week-end qui marquait le début du printemps a accueilli cette année un grand événement : la venue du Los Angeles Philharmonic et de son directeur artistique, le très acclamé Gustavo Dudamel, à la Philharmonie de Paris. Après un programme exclusivement américain donné le samedi soir, l’orchestre invité offrait dimanche après-midi la Troisième Symphonie de Mahler, avec le Chœur et la Maîtrise de Radio France ainsi que la mezzo-soprano Tamara Mumford. Une performance électrisante dont on se souviendra longtemps !
On n’aime ou on n’aime pas Mahler (tout comme Wagner…), mais une chose est incontestable : ses symphonies sont toutes des chefs-d’œuvre d’intelligence musicale et de beauté. La Troisième Symphonie (composée en 1895-1896) est la plus longue des neuf, durant un peu moins de deux heures. Elle est certes immense, mais encore plus impressionnante, avec sa construction sur mesure en six mouvements dont les 4e et 5e avec voix, élaborée selon un plan progressif que le compositeur a présenté ainsi au critique Max Marschalk : « Introduction : L’éveil de Pan ; N°1 : L’été fait son entrée (cortège de Bacchus) ; N°2 : Ce que me content les fleurs des champs ; N°3 : Ce que me content les animaux de la forêt ; N°4 : Ce que me conte l’homme ; N°5 : Ce que me content les anges ; N°6 : Ce que me conte l’amour ». La force de la progression générale de l’œuvre, les thèmes utilisés, la gamme incroyablement variée de couleurs orchestrales sont autant de points communs, voire de références directes à ses autres symphonies, à la fois antérieures et postérieures. A mesure que la musique de cette Troisième Symphonie nous submerge avec une puissance spectaculaire, on ressent presque physiquement ce qu’Adorno exprimait ainsi : « Si le terme de progrès peut être appliqué à une œuvre, c’est bien (…) à celle de Mahler ; l’évolution rigoureuse de la musique […] décrit […] une véritable histoire musicale ».
Dès l’entrée du premier violon sur scène, l’excitation dans la grande salle est à son comble, les spectateurs se préparant à la montée irrésistible de la tension dramatique qui se produit déjà dans l’ « introduction » équivalant au début du très étendu premier mouvement. Avec beaucoup de clarté et une inspiration évidente, Gustavo Dudamel construit le propos mahlérien en prenant le soin de valoriser les silences pour mieux faire exploser l’énergie inhérente aux accords de cette première partie. Le Los Angeles Philharmonic le suit dans cette logique, restitue toutes les nuances de l’orchestration et les variations de rythme resserrées qui lancent la symphonie. Les cuivres produisent fièrement les premiers thèmes, notamment un trombone au timbre velouté et à l’expressivité souple et gracieuse bien que non dépourvue de l’héroïsme nécessaire.