Quel programme ! se dit-on en entrant dans l’Auditorium ce jeudi soir. Il ne suffit pas que Ton Koopman amène à Lyon l’excellent Chœur de chambre de Namur pour un Magnificat et une suite pour orchestre (programme suffisant à lui seul pour la reprise de ce samedi). Non, l'Orchestre National de Lyon a la chance de jouer sous la baguette de ce chef joyeux et charismatique également un concerto pour piano de Mozart, occasion d’une rencontre réussie avec le pianiste américain Richard Goode. Ouvrant les journées Play Bach lyonnaises de ce week-end, la soirée inaugurale a placé la barre très haute.
Une pièce d’ouverture baroque, tout d’abord : la Suite pour orchestre n° 4 en ré majeur (BWV 1069). Il faut vraiment saluer l’adaptabilité de l’ONL : dirigé par Ton Koopman, les Lyonnais polyvalents parviennent à produire ce son typique des baroqueux, emportés par la fougue du spécialiste. Si dans les deux toutes premières mesures, la machine orchestrale a besoin d’un démarrage à grands coups de bras, Koopman peut retourner à une gestuelle plus économe par la suite. Sa joie, contagieuse, se transmet à la fugue des cordes ; le quatuor des bois leur répond comme un seul homme. Dans les Bourrées et Gavotte, le chef n’est pas le seul dont les jambes ont envie de danser, mais cela ne le détourne pas de ses tâches : le dégagement des reliefs, la coloration, les accents. Les Menuets, pour leur part, ne sont pas ici de clinquantes danses de cour. On se les imagine dans une maison flamande bourgeoise plutôt, sereines et humbles dans leur douce chaleur. La Réjouissance dit bien son nom : pétillante et animée s’achève cette suite.
L’Auditorium va finir par fredonner par cœur le Concerto pour piano n° 27 en si bémol majeur (KV 595) de Mozart cette saison: Menahem Pressler nous l’a joué à sa façon, chargée de souvenirs et d’émotions, en septembre. Ce n’est donc pas un mince défi pour Richard Goode : renouveler l’écoute de son public et se positionner avec son interprétation. Il faut dire que la direction de Ton Koopman (très différente de celle de Joshua Weilerstein) aide le soliste à bâtir un nouvel édifice. Le long prélude orchestral oppose l’élégance des cordes – très belle homogénéité des premiers violons ! – à la fierté des cors. Le jeu de l’ONL et du soliste sont vraiment très cohérents et complices. Telle montée de gamme du piano, limpides doubles croches en sauts de tierce, produit un clin d’œil amusant aux contrebasses. Le sublime Larghetto est très caressant au piano et ce qu’on remarque particulièrement, c’est la qualité des coups d’archets des violons, évoluant avec de si riches harmoniques. Le piano semble faire son propre commentaire dans les cadences : le jeu de Richard Goode est plein d’humour. Cela s’avère dans l’Allegro du troisième mouvement. C’est là un jeune agneau qui s’égaye dans les prés au printemps, ne connaissant pas encore le loup… Un brin naïf, mais ravissant : et le jeu parvient à nous dire cette distance ironique, car le soliste ne se prend pas trop au sérieux non plus. Complètement immergé dans la musique, on le voit constamment bouger sa mâchoire comme s’il était en train de chanter, en même temps qu’il joue – d’ailleurs, parfois, il le fait. Comme il peut taper du pied dans la cadence : Mozart, c’est authentique, pas de chichi. Et ses partenaires apprécient, c’est évident.