Pour le dernier programme de l'édition 2025 du « Focus Jeunes créateurs – Génération Danse élargie » organisé par le Théâtre de la Ville, c’est la pièce Unisson de Yaïr Barelli qui est présentée aux Abbesses en cette fin septembre. Contrairement aux autres productions de cette série thématique, cette fois-ci une seule œuvre occupe toute la soirée durant une heure environ : cela implique de la part des spectateurs une approche différenciée, plus concentrée, plus calme. De fait, le ballet comporte en lui-même une multitude d’images et fait naître une réflexion relativement inhabituelle en raison du grand nombre de symboles mis côte à côte. Suffisamment pour se sentir un peu troublée et incontestablement enrichie.
Sept danseurs entrent sur le plateau en tee-shirt blanc et jean, en marchant sur demi-pointes à intervalles réguliers en simultané, sans chercher à créer d’effet spécifique. Leurs morphologies non uniformisées, ainsi que la singularité qui se dégage de chacun du fait de leur manière de se déplacer, instaurent immédiatement une atmosphère particulière, un cadre implicite qui s’oppose quasiment à la notion de ballet classique et en particulier du corps de ballet – bien que les mouvements de chacun soient identiques et concourent à la formation d’un ensemble homogène. La ligne qui se constitue et s’immobilise quelques instants permet de mieux distinguer cette hétérogénéité homogène : les danseurs se sont positionnés du plus petit au plus grand, ils reproduisent la même position et adoptent la même expression pseudo neutre, mais leurs visages et leurs corps traduisent des réalités extrêmement variées.
Une fois les premières présentations effectuées, le public se trouve invité à vivre une performance proche d’une forme théâtrale expérimentale, avec un enchaînement sur scène de différents agencements accompagnés de texte chanté ou déclamé, mais pas de dialogues, plutôt des exclamations insérées à des tableaux qu’on pourrait définir comme des scènes mimées correspondant à des évocations de situations ou d’impressions. Yaïr Barelli va en effet tâcher d’explorer toutes les significations possibles du mot « unisson » : on peut retrouver ce concept dans mille et un contextes sans rapport, un « Joyeux anniversaire », un « Bonne année », une prière, une course d’aviron, une comptine, un slogan de manifestation, un buzz sur les réseaux sociaux… Le chorégraphe illustre les facettes innombrables et improbables de ce terme en n’ayant pas peur de tomber dans l’absurde ou frôler le ridicule.
Le propos ne repose pas sur une recherche chorégraphique poussée, il tente de mettre en exergue les similarités qui permettent à ce genre de mécanisme aussi ordinaire que fascinant de se déployer et de perdurer. L’absence de musique laisse place au bruit des pas et des souffles, et surtout à l’expression vocale des interprètes, lesquels passent du chant au martèlement de slogans, et revêtent pour l’occasion des rôles d’acteurs autant (voire plus) que de danseurs. Le contraste brutal séparant parfois deux sections du spectacle, qui se succèdent souvent très rapidement, suscite instinctivement une hilarité dont la tonalité est autant spontanée que gênée, à l’image de l’écart entre une ola dans un stade de foot et un acte de résistance en temps de guerre. Il y a des points communs évidents, soulignés par le fil rouge du spectacle et la fluidité des transitions, et cela interpelle néanmoins avec force.
L’utilisation de drapeaux à un certain point du spectacle renforce la possibilité de jeu pour les danseurs, qui progressent en termes d’individualisation sans que cela semble forcément bénéfique : les attitudes comparables et pourtant non similaires face aux téléphones portables – objets identiques mais avec des contenus entièrement personnalisés et donc séparés – en sont l’exemple le plus parlant. In fine, le ballet de Yaïr Barelli, mi-drôle mi-terrifiant, invite chaque spectateur à s’interroger sur son rapport au collectif : est-ce quelque chose de porteur, hypocrite, contraignant, dangereux, emprisonnant… ? Pas de bonne réponse ou de réponse unique, la clé est dans l’ouverture et la multiplicité, précisément.
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