Il est rare qu’un soliste tourne le dos au public de l’Auditorium de Lyon. Si Vincent Warnier prend résolument cette posture, c’est que la star de la soirée, c’est moins lui que l’instrument au service duquel il se met. L’orgue Cavaillé-Coll/Gonzalez/Aubertin, construit pour l’Exposition universelle de 1878 et plus précisément la salle du Trocadéro, est un véritable monument historique et il peut tenir la scène à lui seul. Le programme coloré, excellemment choisi pour montrer la diversité d’atmosphères qu’il est capable de créer, a fait la part belle aux compositeurs français, particulièrement convaincants, sans oublier Bach, il ne saurait en être autrement.
C’est le maître de Leipzig, avec la Pièce d’orgue en sol majeur BWV 572, qui ouvre la soirée. Tripartite, l’œuvre débute comme une petite boîte à musique, innocente, avant que l’instrument-roi ne montre de quelle étoffe il est fait : leGravement fait entendre toute sa majesté, et le capitaine et le second à ses ordres pour tirer les registres sont tout d’un coup emportés par un bateau qui, confiant, vogue à travers les océans. Ce sont les flûtes qui signaleront l’arrivée dans l’épilogue du Lentement. Les carillons du Trio super « Herr Jesu Christ, dich zu uns wend’ » BWV 655 nous replongent dans les dimanches de notre enfance, même si le tempo des mains n’est pas celui des pieds de l’organiste (concédons que le pédalier doit assumer une véritable troisième voix à la fin de cette pièce polyphonique). Dans le Prélude et Fugue en mi mineur BWV 548, c’est le registre central seul qui semble s’adresser au public sur un ton impérieux ; mais ne manque-t-il pas ici quelques accents, l’organiste n’a-t-il pas perdu pendant quelques instants les pédales, eu égard aux flottements dans le tempo ? Une belle cadence cristalline ravit notre attention à nouveau, avant que ne revienne toute l’autorité du discours impérieux : l’orgue est un peu de mauvaise humeur, il crie fort (un peu trop) sa puissance.
Mais quel changement avec le Choral No.2 de César Franck : c’est avec une obscurité sourde que démarre le morceau, éclaircie peu à peu. À certains moments, on dirait un orgue Hammond, en entendant ces registres vocaux tremblants, avec un souffle tout humain. Le thème final, quant à lui, procure un apaisement mystérieux et doux. L’enchaînement avec le Clair de lune, extrait des Pièces de fantaisie (Suite No.2 Op. 53) de Louis Vierne est parfait. L’étrangeté, le merveilleux sont présents dès cette première note aiguë à la main droite, qui contraste avec le fond sonore ; d’ailleurs ses harmoniques n’ont décidément pas envie de se mêler au reste de l’affaire.