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Les ébouriffantes Quatre Saisons de Julien Chauvin et Mourad Merzouki à Toulouse

Par , 17 décembre 2024

Dans la pénombre et le silence, un lent et mystérieux ostinato, digne du prélude de L’Or du Rhin, est joué par les cordes graves. Puis la lumière monte progressivement sur le plateau et dévoile la vingtaine de musiciens pieds nus du Concert de la Loge qui jouent à présent au tempo les trois notes de cet ostinato, lequel n’est autre que la base harmonique et rythmique de l'éblouissante « Sinfonia » de L'Olimpiade de Vivaldi qui ouvre avec brio ce spectacle. Fondus au milieu des instrumentistes, les sept danseurs de la compagnie Käfig de Mourad Merzouki surgissent et investissent le large plateau de la Halle aux grains de Toulouse. Une chorégraphie hip-hop s’installe, virtuose, joueuse et joyeuse qui fait écho à la « Sinfonia » jouée avec toute l’énergie requise par l’orchestre : le ton est donné pour cette soirée hors norme présentée par Les Grands Interprètes.

Le Concert de la Loge et la compagnie Käfig réunis dans Vivaldi
© Julien Benhamou

Julien Chauvin, chef et soliste du Concert de la Loge s’avance alors et joue Le Printemps de ces Quatre Saisons dansées, dans un dialogue éblouissant avec l’un des danseurs, bientôt rejoint par les autres membres de Käfig qui tournoient harmonieusement autour du violoniste. Le jeu de Julien Chauvin est une merveille de poésie, avec un phrasé d’une grande élégance et d’une grande pureté, le tout avec une justesse tout simplement prodigieuse. Sa virtuosité n’est jamais gratuite, elle est mise au service d’une caractérisation très juste de la narration de chaque mouvement, sans effet exagéré. Il fait littéralement corps avec ses musiciens du Concert de la Loge dont la qualité instrumentale, l’homogénéité et le dynamisme sont superlatifs. Et le timbre unique de son violon signé Nicolò Gagliano (1750) est aussi pour quelque chose dans cette somptueuse interprétation : nous redécouvrons ainsi avec émerveillement et comme au premier jour la partition célébrissime de Vivaldi...

La symbiose est également totale avec les sept danseurs qui rivalisent de virtuosité, de technique et de théâtralité, aussi bien dans le vocabulaire hip-hop que dans les passages acrobatiques que ménage la chorégraphie très musicale et inspirée de Mourad Merzouki. Le chorégraphe français est le porte-étendard d’une danse hip-hop qui fusionne avec d’autres disciplines et esthétiques, avec un succès mondial : sa compagnie a donné en près de 30 ans plus de 4 000 représentations dans 65 pays différents ! Et c’est en grand connaisseur de la musique baroque (cf. son spectacle Folia) qu’il met en scène ici un nouvel opus où ses chorégraphies inventives et virtuoses se marient impeccablement avec l’énergie de Vivaldi. 

Une trouvaille de mise en scène parmi beaucoup d'autres : Jérôme Huille joue la Sonate pour violoncelle en la mineur sur une petite estrade à roulettes, bientôt poussée par les danseurs sur le devant de la scène, permettant ainsi un facétieux duo avec l’un des danseurs… Quant au premier mouvement de L'Été, il donne lieu à une chorégraphie hip-hop aussi acrobatique qu’explosive, avant que le « Presto » final n'embarque le public dans une haletante et jouissive course à l’abîme. Hurlements de bonheur et sifflets dans la salle saluent la performance des artistes… Nous ne sommes pas loin de l’ambiance d’un concert de (ba)rock !

Le Concert de la Loge et la compagnie Käfig réunis dans Vivaldi
© Julien Benhamou

Le Concerto pour quatre violons met en scène de façon astucieuse quatre duos violoniste-danseur, tandis que le doux balancement du « Largo » est incarné par tout l’orchestre qui se met à osciller lentement de droite à gauche et en rythme… L'Automne offre une pause humoristique : plusieurs danseurs assis et goguenards font mine de commenter le discours du soliste, contrastant avec le joyeux et robuste Concerto RV 151 alla rustica qui suscite bientôt de spectaculaires portés, vols et chutes acrobatiques.

Avec les harmoniques aigus des cordes, l’introduction de L’Hiver est plus glaçante et saisissante que jamais, tandis que la chorégraphie se fait très théâtrale façon Pina Bausch. Après le paisible « Largo », les artistes nous embarquent à nouveau dans le tourbillon d’un ébouriffant « Allegro » conclusif. La salle applaudit à tout rompre tandis que la « Sinfonia » de L'Olimpiade retentit à nouveau, ménageant ainsi un show final qui permet à chacun des artistes de recueillir l’ovation d’un public aux anges.

Alors oui, ce jubilatoire concert dansé est une réussite totale et un modèle du genre. Un spectacle qui rompt toutes les formes de frontières entre danseurs et musiciens : « la rencontre avec les danseurs a bouleversé nos sens, écrit Julien Chauvin dans la note de programme. Nous devînmes mobiles, funambules et bondissants, mais surtout à l’écoute et spontanés »... Nous pourrions en dire autant du public !

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“La symbiose est totale avec les sept danseurs qui rivalisent de virtuosité et de théâtralité”
Critique faite à Halle aux grains, Toulouse, le 16 décembre 2024
Parmi les œuvres au programme:
Vivaldi, Les Quatre Saisons (Le quattro stagioni), Op.8 no.1-4
Cécile Trelluyer, Lumières
Nadine Chabannier, Costumes
Mourad Merzouki, Chorégraphie
Julien Chauvin, Direction musicale, Violon
Compagnie Käfig
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