Deuxième volet du cycle Rossini à l’Opéra de Lyon après la Sémiramis de l’an dernier, la Zelmira de ce mois de novembre a dépassé les attentes. Si la direction d'Evelino Pidò a une nouvelle fois prouvé son excellence, le plateau s’est enrichi d’une distribution vocale particulièrement intéressante.
Lorsque, avec le duo des traîtres Antenore et Leucippo, les premières notes des solistes se font entendre, on est sûr qu’on passera une excellente après-midi à l’Opéra de Lyon. Patrick Bolleire, qui campe l’adjuvant machiavélique du lieutenant de Mytilène, devient grâce à sa basse aussi belle qu’imposante un outil clé du complot ourdi contre la famille princière de Lesbos. Sergei Romanovsky, son commandant, peut ajouter à la suavité de son organe extraordinaire une technicité absolument remarquable et aussi son charme particulier : n’a-t-on pas envie de croire en ce tentateur, dont la douceur et la séduction font rapidement la conquête du peuple de l’île grecque ? On y adhère, comme semble le faire le chœur, s’engageant progressivement (les hommes avaient besoin d’un petit tour de chauffe, non vocalement, mais pour se détacher de leur partition et pour se mettre dans l’allégresse collective, dont les femmes seront les premiers porteurs – et on comprend pourquoi !).
Que peut y opposer la figure première du pouvoir légitime, Zelmira, qui a dû cacher son père pour le protéger et qui a vu partir son mari troyen, passant désormais pour traîtresse auprès de son peuple ? Patrizia Ciofi, soprano colorature à qui échoit le rôle-titre, opte pour l’interprétation humble de la femme brisée et reniée de tous : sa voix, rarement étincelante mais toujours expressive, s’est aujourd’hui couverte d’un voile plus sombre encore, qui a pour lui la parfaite adéquation avec son rôle. La lassitude de la reine de Lesbos est-elle réellement feinte ? Le public honore le jeu corporel et son dévouement, compensatoires, mais les demi-teintes sont plus assurées que les montées dans les aigus en forte, certains passages techniques exécutés avec moins d’attention que son air final, à la fin duquel son épuisement n’est plus un secret pour personne, et même assumé par un geste qui cependant lui apporte encore davantage de sympathie chez les auditeurs.
C’est le timbre de sa confidente Emma (Marianna Pizzolato), généreuse mezzo aux harmoniques très fondues et riches dans les succulents graves, qui détrône la reine en lui ravissant les lauriers. Dans l’opposition des voix féminines si différentes, le duettino « Perché mi guarda » sur fond de harpe et de cor anglais, l’une des plus belles pages de Zelmira, fait éclore un pathos extrêmement puissant, dû à l’interprétation harmonieuse et à la synergie de Ciofi et de Pizzolato.