Ce que les spectateurs voient de Herbert Blomstedt depuis leurs places est généralement le dos du chef d'orchestre, la queue-de-pie qui s'agite, peut-être un coup d'œil pétillant sur le côté, vers les violons. Un avantage des concerts en streaming est la « caméra du chef » qui permet de voir ce que voit l'orchestre. Dans le cas de Blomstedt, c'est un homme qui, à l'âge vénérable de 93 ans, aime toujours ce qu'il fait, c'est une évidence. Ces dernières semaines, le maestro suédois a été occupé à diriger à travers l'Europe, et nous avons parlé – enfin, il a aussi souvent chanté – après son arrivée à Munich pour un concert caritatif avec l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise.
« Je reste jeune grâce à la musique. J'ai une grande curiosité et de ce fait, je suis toujours comme un enfant. J'ai appris un peu au fil des ans, mais j'ai surtout appris que j'en sais trop peu. Être curieux peut signifier explorer la même œuvre 200 fois. Je peux me passionner pour une symphonie à chaque fois que j'y reviens, comme celle de Schubert en do majeur. La vie est intéressante. À chaque interprétation que nous donnons en concert, même quand c'est une réussite, je ne pense jamais être parvenu à une solution. La prochaine fois que nous jouerons l'œuvre, nous découvrirons de nouvelles choses. »
J'ai souvent remarqué un détail : si Blomstedt a habituellement une partition sur son pupitre, celle-ci reste invariablement fermée. Cela remonte peut-être à l'époque de ses études auprès d'Igor Markevitch, au début des années 1950. « Il nous a appris à quel point il était important d'analyser la partition, se souvient Blomstedt. Il ne permettait à aucun de ses élèves d'avoir le conducteur devant eux quand ils dirigeaient. Vous deviez l'étudier et le connaître complètement avant d'y aller. Vos yeux ne devaient pas être plongés dans la partition. Vos mains ne devaient pas tourner les pages. Vous deviez regarder et diriger l'orchestre. C'était assez exigeant », songe-t-il, avant d'ajouter modestement : « mais cela a payé ».
Cette approche analytique porte toujours ses fruits sept décennies plus tard. Même quand il revisite une partition qui lui est familière comme la « Grande » de Schubert qu'il a récemment dirigée à Stockholm, Hambourg et Munich cette semaine, il découvre toujours de nouvelles choses. Il cite un exemple : « ce n'est que la semaine dernière que j'ai remarqué quelque chose que je n'avais jamais relevé auparavant. Je reste au tempo à la fin du premier mouvement – et en commençant le deuxième mouvement, je me suis rendu compte que c'était exactement la même pulsation ! Donc si vous prenez un grand ritardando à la fin du premier [Blomstedt chante lentement, avec majesté, les dernières mesures], cela n'a aucun rapport avec le mouvement suivant. Je pense que Schubert était très conscient de cela, parce que dans ses autres symphonies, il y a aussi une relation de tempo claire entre tous les mouvements. Il m'a fallu 66 ans pour découvrir cela ! »
Blomstedt décrit la « Grande » comme « une Wanderer Fantaisie pour orchestre ». Qu'est-ce qui en fait une si grande symphonie, est-ce la « longueur céleste » remarquée par Robert Schumann ? « La durée en minutes fait partie de la grandeur intérieure, commence-t-il. Prenez le thème principal du finale, répété simplement tant de fois, avec tant de couleurs, des dynamiques et des orchestrations différentes. Ou le trio, qui dans tous les scherzos symphoniques habituels serait la partie la plus courte de toute l'œuvre – à proprement parler, ce sont un peu les vacances du scherzo. Ici, le trio est une structure énorme, aussi vaste que le scherzo, mettant en avant les bois tout du long. Et bien sûr il répète le trio – il faut faire toutes les reprises, tout comme les mouvements de danse à l'époque baroque. »
Revisiter la partition apporte de nouvelles révélations, notamment avec les nouvelles éditions. « Il y a un descrescendo chez les trombones dans le premier mouvement – ce n'était pas dans l'ancienne partition, où il apparaît joué quatre fois avec la même dynamique – mais le decrescendo est présent très clairement dans le manuscrit autographe et via ce decrescendo on atteint un creux, en termes de dynamique, qui est très utile pour construire le long crescendo qui vient ensuite. Je ne peux pas m'empêcher de penser à Bruckner qui aimait ses longs crescendos, mais ses diminuendos sont souvent terminés en une demi-seconde ! »
Blomstedt explique que Brahms a édité la première édition complète des symphonies de Schubert. « L'éthique du travail de l'éditeur en 1880 n'était pas la même qu'aujourd'hui ! Dans la Quatrième Symphonie, Brahms a même ajouté deux mesures de son cru qu'il jugeait nécessaires pour l'équilibre ! Et il ne l'a dit à personne. Cela a été découvert bien plus tard !
« Nous savons à présent que le premier mouvement était indiqué alla breve [deux temps par mesure], mais dans les années 1880 il a été publié à quatre temps, donc l'édition de Brahms a influencé la façon de jouer pendant 150 ans ! Mais jouer alla breve résout l'un des problèmes les plus difficiles dans l'interprétation, qui est la transition de l'introduction à l'« Allegro » – si vous commencez alla breve, la transition est très naturelle. Et à la fin du premier mouvement, lorsque le thème initial réapparaît, tous mes ancêtres – de grands chefs comme Wilhelm Furtwängler – ont ralenti pour imiter l'introduction. C'était considéré comme la marche à suivre. C'est ainsi que je faisais quand j'étais plus jeune. Mais la nouvelle édition n'indique pas un ritardando ou quoi que ce soit. Cela doit être joué dans le nouveau tempo. Quiconque ne connaîtrait pas ces nouvelles sources penserait que nous sommes fous et que nous ne suivons pas les intentions de Schubert. [Blomstedt chante le thème principal très lentement] Cela peut certainement être très bien fait. C'est comme Bach – vous ne pouvez pas détruire Bach en le jouant à un tempo lent, c'est simplement un autre Bach que nous ne considérons pas comme l'original. »
Les pratiques interprétatives ont beaucoup changé au cours de la carrière de Blomstedt, mais il était à peu près à l'avant-garde des interprétations historiquement informées. « J'ai étudié en tant que musicologue à l'Université d'Uppsala et cela a influencé ma façon de voir la musique. Je me souviens avoir entendu à Stockholm (peut-être en 1950) un concert de Furtwängler et des Wiener Philharmoniker. Il commençait le programme avec le Concerto brandebourgeois n° 3 et il l'a joué avec environ 70 instruments à cordes, dont neuf contrebasses ! Et un tempo si lent ! [Il chante à nouveau] C'était très impressionnant à sa manière. Mais en tant qu'étudiant musicien rebelle, je trouvais que ce n'était pas la façon dont il fallait jouer Bach ! Il n'y eut pas d'entracte et après cela ils ont joué la Huitième Symphonie de Buckner, pour laquelle un des contrebassistes a quitté l'estrade et est revenu avec un tuba. Ils ont donc joué la symphonie de Bruckner à huit contrebasses, et le Bach avec neuf ! Ce fut un concert merveilleux, d'ailleurs – il faut peser le pour et le contre – mais j'étais convaincu que je ne jouerais jamais Bach comme cela.