Ayant rendu compte, la saison passée, de prestations du trompettiste soliste Marc Geujon accompagné par l'Orchestre Symphonique de Mulhouse, nous avons souhaité découvrir plus avant l'art et la personnalité de l'un des représentants les plus talentueux de la trompette française. Chaleureusement accueilli au domicile du musicien, Jean Landras a recueilli le témoignage de sa triple expérience de concertiste, de premier trompette solo à l'Orchestre de l'Opéra de Paris et de professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.
Jean Landras : Vous êtes originaire d'une famille dans laquelle la musique n'occupait pas une place importante. Quel parcours vous a conduit à devenir soliste international et professeur réputé dans l'art de la trompette ?
Marc Geujon : Je suis né dans un village du Pas-de-Calais. Mon milieu familial ouvrier, lié à l'agriculture et à l'agro-alimentaire, n'était pas composé de musiciens mais, ayant fréquenté les concerts de l'harmonie municipale, j'ai découvert la musique et j'ai commencé à la pratiquer vers 12 ans. Inscrit à l'école de musique associée à l'harmonie municipale comme dans tous les villages du nord de la France, j'ai bénéficié d'une bonne initiation. C'était l'époque finissante où les structures musicales étaient puissamment soutenues par les Mines. On recrutait d'excellents musiciens, anciens de la Garde Républicaine, des Gardiens de la Paix... Le brassage des générations était important : à 13 ans, je pouvais avoir un collègue de pupitre de 65 ans ! Le brassage social était moins évident : nous étions généralement issus du même milieu populaire et nous partagions la même bonne humeur, le même sens du respect, de l'échange. Les professeurs étaient souvent bénévoles. Tout cela a changé depuis la disparition des mines, les transformations sociales et culturelles mais beaucoup d'instrumentistes de cuivres, par exemple à l'Orchestre de l'Opéra de Paris où je suis, ont suivi ce parcours. On parle chti entre nous et cela facilite sûrement la cohésion du groupe. C'est également cette image qu'incarnait, à partir d'une autre région, Maurice André, avec un rapport direct au public.
Pourquoi avoir choisi la trompette ?
Je voulais jouer du trombone après mon année de solfège. Malheureusement, ou sans doute heureusement, il n'y avait plus de trombone dans les réserves de l'harmonie ; alors on m'a donné une trompette ! Ainsi, je suis devenu trompettiste un peu par hasard ! J'ai eu la chance de suivre, ensuite, les cours de Philippe Vaucoret à Arras. Il m'a pris dans sa classe sans être pour autant convaincu que j'y avais ma place, souhaitant m'orienter plutôt vers le tuba. Devant mon insistance à poursuivre la trompette, il m'a fait tout reprendre à zéro en dépit de deux premières années effectuées dans mon village. Six mois durant, j'ai dû faire exclusivement des rondes et des blanches, histoire de trouver un son, des positions correctes et surtout une grande propreté dans les attaques. Je lui dois beaucoup car cela m'est resté. Puis tout est allé vite jusqu'à ma médaille d'or. Nous sommes restés très proches, c'est grâce à lui que je fais ce métier.
À quoi la séduction qu'exerce la trompette tient-elle, selon vous ?
La manière de produire le son est la même pour un instrument à embouchure que pour la voix humaine. La trompette est un amplificateur recueillant les vibrations de l'air produites par le système phonatoire : colonne d'air, larynx, langue, lèvres... Elle est donc capable d'apporter les mêmes nuances, le même souffle. La trompette se rapproche de la voix humaine non seulement par une certaine ressemblance du son, comme le violoncelle, mais parce qu'elle fait corps avec la physiologie-même du musicien.
Que vous ont apporté vos études supérieures et quelles ont été les étapes de votre carrière ?
Mon professeur de musique de chambre à Arras, le corniste Jean-Noël Melleret, m'a suggéré de poursuivre ma formation avec le trompettiste Éric Aubier, brillant élève de Maurice André. Je me suis présenté à lui après avoir assisté à une incroyable prestation de sa part. Il m'a accepté dans sa classe, à Rueil-Malmaison, et m'a conduit, l'année suivante, à l'admission au Conservatoire National Supérieur de Paris. Il a, de plus, facilité mes premiers pas d'étudiant vers le monde professionnel, m'apprenant à aimer ce métier, m'invitant à jouer avec lui et avec d'autres trompettistes fabuleux, des concertos à plusieurs trompettes. Nous avons accompagné Maurice André lors d'une tournée avec l'Orchestre de Chambre Paul Kuentz. Ma collaboration avec Paul Kuentz s'est prolongée (Messe en si, Oratorio de Noël...) et je lui dois d'avoir pu côtoyer les grands trompettistes auxquels il faisait appel.
Mon premier poste dont je conserve un bon souvenir est à l'Orchestre de la Garde Républicaine où j'ai passé sept ans comme trompette solo. C'est un bel orchestre à la tête duquel les chefs se succédant sont éminemment compétents. J'y ai appris beaucoup mais l'aspect militaire avec une forme de rigidité n'a pas toujours été facile à associer à la musique. J'ai ensuite occupé durant quelques temps le poste de trompette solo à l'Orchestre Symphonique de Mulhouse puis à l'Orchestre de Picardie. J'ai cherché par là à me rapprocher de mon foyer familial à Paris. J'ai pu enfin occuper le même poste à l'Orchestre de chambre de Paris avant d'avoir la chance de remporter le concours de première trompette solo à l'Orchestre de l'Opéra de Paris. C'est le poste que j'occupe actuellement. Parallèlement je mène une carrière de concertiste et j'exerce les fonctions de professeur au CNSMD à Paris.