« Un aspect intéressant de la culture estonienne est que nous n'avons pas une longue tradition de musique classique comme les Européens. Nos activités musicales n'ont commencé à prendre de l'importance qu'au cours des 100-200 dernières années et elles se sont développées plus rapidement après l'indépendance de notre pays. C'est peut-être la raison pour laquelle, les salles de concert conventionnelles mises à part, de nouvelles idées ont émergé librement et les musiciens se sont tournés vers d'autres moyens d'expression pour s'exprimer par la musique. »
Je m'entretiens avec Theodor Sink, de Tallinn, un des remarquables musiciens de sa génération en Estonie. Il est tard dans la nuit pour lui et tôt le matin pour moi en raison de nos fuseaux horaires différents, et l'artiste âgé de 28 ans s'exprime depuis son studio de violoncelliste, qui ressemble à un grenier ; son attitude amicale et décontractée rend la conversation facile et instructive.
J'avais envie de parler de son parcours musical et de la situation des arts en Estonie depuis que le rideau de fer s'est levé, à la fin des années 1980. « Dans un passé reculé, la musique occidentale semblait lointaine et exotique pour les habitants des pays baltes. Avec le temps, nos compositeurs et artistes ont eu à découvrir leur manière de créer une musique qui leur était propre, poursuit-il. Par conséquent, nos traditions émergentes ont eu une influence sur le développement et la pratique musicale des jeunes musiciens. Cela explique peut-être pourquoi je trouve qu'il est très inspirant de travailler en Estonie, malgré la petite taille du pays. »
Sink s'est vu offrir son premier poste, violoncelle solo de l'Orchestre Symphonique National d'Estonie. La procédure à suivre pour occuper ces fonctions si importantes diffère d'un pays à l'autre. « À l'époque, pour une raison quelconque, l'intérêt pour ce poste n'était pas très prononcé. Comme très peu de personnes en ont entendu parler à l'étranger, seuls des artistes locaux ont postulé. Auparavant, c'est vrai, seuls les Estoniens pouvaient accéder à de telles fonctions dans le pays, mais cela a changé. »
Aujourd'hui, ce n'est certainement plus le cas. Sink acquiesce mais ajoute : « Alors que nous préférerions attirer les talents locaux, il a été montré que quand un candidat venant de l'étranger jouait mieux lors d'une audition, nommer cette personne avait en réalité une influence positive sur la vie de notre milieu musical. »
Dans le monde entier, la vie des musiciens d'orchestre a radicalement changé pendant la pandémie. « Nos concerts sont régulièrement diffusés en ligne. Nous avons une méthode selon laquelle l'orchestre est divisé en deux groupes. Si une personne est infectée dans le premier groupe, l'autre peut prendre la relève et continuer. À Tallinn, les concerts avec spectateurs ne sont pas autorisés pour l'instant*, mais en dehors de la capitale, la situation est bien meilleure et les concerts sont ouverts au public.
« Laissez-moi vous donner quelques exemples, poursuit-il. Cette semaine, nous faisons des enregistrements. En février, certains d'entre nous donneront des concerts de musique de chambre, tandis que d'autres seront organisés en petit orchestre et donneront des concerts pour enfants. »
La question des concerts jeune public nous amène à parler de l'éducation musicale et des concerts en général en Estonie : « Notre système éducatif musical s'améliore constamment, mais il est lié à l'identité du parti politique au pouvoir. En période de pandémie, nous avons eu la chance que notre Ministre de la Culture nous ait aidés à garder nos salles de concert ouvertes le plus longtemps possible et qu'il ait plaidé pour le développement financier de la culture en Estonie. »
À propos des concerts, il déclare : « En Estonie, c'est relativement facile d'organiser des concerts. Il existe une quantité de lieux possibles, même si certains d'entre eux – comme les anciennes usines rénovées – n'étaient à l'origine pas conçus pour devenir des salles de concert. Ils offrent cependant une expérience unique avec leur atmosphère “undergound” qui convient aux concerts de musique contemporaine. »
La musique contemporaine attire rarement les foules. Mais Sink pense différemment : « En raison des nouvelles traditions culturelles que j'ai mentionnées précédemment, la fréquentation de nos concerts est excellente et elle ne se limite pas à une tranche d'âge spécifique – un phénomène relativement courant dans d'autres pays. Des personnes de tous âges, dont de nombreux jeunes, assistent à nos concerts, ce qui est très rassurant. »
J'ai lu qu'il était convaincu de l'importance de l'exercice physique pour les musiciens. « Mais bien sûr, explique-t-il : s'entraîner de nombreuses heures par jour peut être épuisant physiquement et les musiciens doivent y être préparés. Ces dernières années, j'ai découvert les avantages de visites régulières à la salle de sport. J'ai des troubles du sommeil et après une séance de sport, je dors mieux. Bien sûr, selon la théorie communément admise, le fait de mettre à rude épreuve vos mains et vos doigts peut avoir des effets indésirables sur la souplesse de votre jeu, mais je pense que c'est inexact. Il faut simplement faire preuve de bon sens et éviter le surentraînement. Je trouve que la marche et la natation sont tout aussi utiles. »
À la fin de l'année dernière, il a interprété avec le pianiste Kalle Randalu l'intégrale des sonates pour violoncelle de Beethoven, étant ainsi les premiers Estoniens à jouer les cinq sonates en un seul concert. « Il y a un an environ, mon partenaire pianiste m'a invité à participer à ce projet. Il avait joué ces œuvres plusieurs fois déjà et cela a été vraiment inspirant de travailler avec lui. Auparavant, j'avais une sorte de peur devant ces chefs-d'œuvre et je n'avais appris qu'une seule des cinq sonates, donc jouer le cycle en entier a été une opportunité formidable.