En 1892, lors de la double création de Iolanta et de Casse-Noisette de Tchaïkovsky, les critiques avaient penché en faveur de l'opéra alors que le ballet est aujourd'hui devenu un classique du répertoire – et une véritable poule aux œufs d'or pour les compagnies en période de Noël. Depuis peu, l'opéra connaît cependant un regain d'intérêt légitime. L'intrigue est certainement un peu trop sucrée au goût de certains, il n'empêche que la partition reste l'une des plus poignantes que Tchaïkovsky ait jamais écrites. Trouver le partenaire idéal à ce mini-opéra en un acte est problématique. Pour la nouvelle mise en scène de l'Opéra de Paris, Dmitri Tcherniakov, l'enfant terrible, a décidé de retourner à la combinaison originale. Cette fois-ci, c'est l'opéra qui triomphe à nouveau et le ballet qui s'embourbe.
Iolanta raconte l'histoire d'une jeune princesse aveugle qui, conformément aux ordres de son père, le roi René de Provence, ignore tout de sa cécité. Lorsque deux chevaliers – l'homme à qui elle est promise et son fidèle compagnon – arrivent par hasard au château, Iolanta tombe amoureuse et finit par découvrir la vérité. Elle place alors tous ses espoirs en le traitement que lui propose le docteur Ibn-Hakia, et alors qu'elle parvient à guérir, l'opéra s'achève sur un joyeux chant de louanges.
L'immense boîte couleur crème qui sert de salon a beau absorber la résonance des voix, la production de Tcherniakov reste convaincante. Certes le décor d'intérieur va à l'encontre du jardin que préconise le livret – de sorte qu'un trop faible rayon de soleil illumine les yeux de Iolanta à la fin – mais il y a quelques heureux écarts. Par exemple, le fait qu'Ibn-Hakia – que l'on retrouve en Drosselmeyer dans Casse-Noisette – décide de l'arrivée des chevaliers au château est intéressant.
Sonya Yoncheva triomphe en Iolanta. Sa voix de soprane lyrique dispose à la fois d'un grave onctueux et d'aigus clairs et solides. Elle est aussi une comédienne bouleversante et nous ferait presque croire à sa cécité. La scène où Vaudémont découvre qu'elle est aveugle – lorsqu'elle cueille une rose blanche au lieu de la rouge qu'il lui avait demandée – est extrêmement touchante. Le Vaudémont d'Arnold Rutowski est un ténor agréable, sur le fil, qui ne s'épanouit cependant pas tout à fait sur les notes aiguës, tandis que le baryton Andrei Zhilikhovsky chante glorieusement le rôle un peu rustre de Robert, le fiancé de Iolanta. La chaude voix de basse d'Alexander Tsymbalyuk impressionne, même si elle pèche à bon droit sur l'extrême grave de l'air du roi René.
Le baryton-basse Vito Priante délivre avec souplesse les arabesques mauresques d'Ibn-Habkia et la présence sur le plateau d'Elena Zaremba et Gennady Bezzubenkov, deux vétérans de la scène, est un luxe. Anna Patalong en Brigitta fait des débuts remarquables sur la scène parisienne. Enfin, la direction d'Alain Altinoglu rend compte de l'œuvre avec passion et générosité.
Casse-Noisette et le Roi des souris de ETA Hoffmann est un récit bien plus sinistre que celui que Tchaïkovsky et Marius Petitpa ont porté sur la scène du Mariinsky lors de la première de 1892. Il y a donc une justification au propos délibérément sombre de Tcherniakov qui ne retient pas le livret de Petitpa... mais de là à faire chuter une météorite au cours d'un anniversaire ! Lien ténu s'il en est, Iolanta est donné en représentation à la fête de Marie et cette dernière tombe amoureuse du chanteur qui joue Vaudémont. Aux douze coups de minuit, les membres de l'assemblée pourchassent le jeune couple et c'est là que s'écrase la météorite. La Terre des Neiges devient alors une scène post-apocalyptique, et le Royaume des Délices une hallucination cauchemardesque. Exit les dragées, ce Casse-Noisette a un goût acide, un goût de cendre.