Quatre jours après le récital de Krystian Zimerman, six jours après celui de Murray Perahia, la salle Pleyel invitait la jeune génération : c’était au tour de Rafał Blechacz de se défendre au piano, devant un public plutôt gâté et dans des compositeurs particulièrement attendus – Mozart, Beethoven, Bach et Chopin. Blechacz ne venait pas défendre que les mérites de la jeunesse, d’ailleurs, mais aussi, du haut de ses 28 ans, l’incroyable maturité de son jeu, qui ferait pâlir de jalousie plus d’un prodige, et qui fut largement récompensée lors du XVe Concours Chopin en 2005.
Il est vrai que c’est ce qui frappe dans le jeu de Rafał Blechacz. Une, cinq, dix idées musicales pour chaque note et, mieux encore, pour chaque silence — la sensibilité bouillonnante du Polonais fascine par sa spontanéité et son évidence. Ni contrastes saisissants, ni nuances grandiloquentes, ni rubatos attendus ou effets préparés : son interprétation semble relever d’une totale compréhension du discours musical, qu’on ose suivre les yeux fermés de Mozart à Chopin.
Commencer par une sonate de Mozart n’était peut-être pas le meilleur choix. Parfois mal à l’aise, le pianiste presse dans certains gruppettos coriaces ou certaines gammes malignes. Mais que sont ces approximations devant l’intelligence musicale ? Le Mozart de Blechacz nous séduit dès le premier instant. Il joue avec le piano, s’amuse avec les notes, rit avec les phrases, dessinant la mélodie, esquissant les contrastes, nous plongeant sans effort dans l’univers des salons viennois. Le génie attablé au piano déguste et dévore sa partition dans une fougueuse et insouciante liberté, rappelant furieusement l’Amadeus de Milos Forman.
Enchaîner avec la Pathétique n’était peut-être pas non plus une excellente idée. Après l’esprit encore joyeusement mozartien, le choc du do mineur est difficile, et les géniales trouvailles qui nous ravissaient jusque-là ne surgissent plus dans les thèmes connus et reconnus de Beethoven – ou, tout du moins, y surgissent moins. Le mouvement général est un peu pressé, particulièrement dans le finale dont la délicate mélodie peine à s’échapper vers d’autres horizons.
Peut-être, après tout, que Rafał Blechacz était pressé d’arriver à sa seconde partie. Associer Bach et Chopin, pourquoi n’y a-t-on pensé plus tôt ? On y a pensé plus tôt, c’est d’ailleurs Chopin lui-même qui ne manquait jamais de jouer les Préludes et Fugues avant ses concerts. Simplicité du discours, sobriété déclamatoire, refus de la surenchère : les partitas ne sont pas si éloignées des nocturnes, des préludes, des valses et des mazurkas. Une fois de plus, le pianiste convainc aisément dans un Bach qui n’est pas sans rappeler celui de Dinu Lipatti ; une interprétation sans doute anachronique donc – mais qui ne l’est pas en jouant Bach au piano, dans une salle de 1900 places ? Ce Bach intime et serein semble évident, tant le toucher et le dessin mélodique se complètent dans une juste intelligence.