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Tout n'est pas visible, tout n'est pas audible : confluence des arts au Festival d'Automne

Von , 07 Oktober 2025

Chaque année, dès la rentrée et jusqu'à Noël, le Festival d’Automne permet de faire le plein de spectacles de tous types à Paris et dans toute l'Île-de-France : théâtre, danse, musique, performances, arts visuels, il y en a vraiment pour tous les goûts. Surtout, ce temps fort de la saison invite systématiquement à entrer en contact avec des univers artistiques affirmés, souvent très engagés, démontrant un sens aigu de l’exploration et repoussant les limites de la créativité normativisée. En ce début octobre, on a affaire à une proposition de cet acabit avec le projet de la chorégraphe Tânia Carvalho, Tout n’est pas visible, tout n’est pas audible, programmé dans la capitale au Musée d’Art Moderne et co-produit par la Biennale de la danse de Lyon – le Musée des Beaux-Arts de Lyon ayant accueilli la création la semaine d'avant. Le titre le laissait pressentir : c'est une expérience immersive originale et marquante qui se déploie au cœur des collections permanentes d'un espace muséal transfiguré le temps d’une soirée.

Tout n'est pas visible, tout n'est pas audible
© Festival d'Automne

Autre particularité essentielle du projet : la commande passée à Tânia Carvalho s'inscrit dans le cadre du centenaire de la naissance de Pierre Boulez, et l'œuvre du compositeur constitue précisément le point de départ du travail chorégraphique de l'artiste portugaise. Contrairement à ses habitudes, c'est à partir de cette musique déjà existante que Tânia Carvalho a imaginé la trame du spectacle ; en plongeant dans l'esthétique d’une immense richesse qui caractérise Boulez, la chorégraphe confie dans le programme du festival avoir « cherché à faire dialoguer le geste avec ses silences, ses ruptures, ses tensions internes ». Loin d'une trame narrative, c'est une atmosphère contemplative qui est déployée, non pas devant le public mais tout autour de lui. Aucune information n'est communiquée quant au déroulé de la soirée : chaque spectateur est libre de déambuler là où bon lui semble, guidé tour à tour par les déplacements des danseurs, les chuchotements des régisseurs, les bribes sonores parvenant de la pièce attenante, les mouvements de la foule environnante.

Une trentaine d'interprètes issus du Jeune Ballet du CNSMD de Lyon et de l'Ensemble chorégraphique du CNSMD de Paris investissent tous les espaces et se mettent par intermittence à y danser, d'abord à tour de rôle, puis progressivement à plusieurs, pour finir en grand groupe lors du finale. Mais, comme l’indique sans ambages le titre, impossible à moins de se dédoubler d’assister à l’ensemble des performances données simultanément – il faut choisir son propre parcours en suivant les indices et surtout son instinct…

Tout n'est pas visible, tout n'est pas audible (ici au Musée des Beaux-Arts de Lyon)
© Blandine Soulage

Si l'on commence par l’étage du haut près de l’entrée, on se dirige naturellement au centre de la grandiose Salle Dufy où l'on se laisse merveilleusement cueillir par Anthèmes I (pour violon seul), œuvre parcourue d’interrogations et de délicats frémissements auxquels répondent les corps des danseurs. À l'inverse d’une transcription littérale qui chercherait à illustrer le son, les mouvements amples et circulaires des étudiants semblent traduire la résonance de la note, incarner une forme de sous-texte harmonique et rythmique, dans un prolongement organique et mystérieux. Les costumes légers renforcent l’impression de flottement, d'abstraction qui émane de cette scène quasi hypnotisante. Placé dans l’angle, le musicien, vivement éclairé afin que son ombre démesurée s’étale sur la fresque colorée, domine discrètement la salle, insensible aux traversées des danseurs et au va-et-vient de la foule.

Si l'on parvient à s’arracher à cette bulle fascinante, on accède aux salles du bas où une déambulation s'organise en réponse à l'appel de la clarinette égrenant Domaines ; on peut la suivre en Salle Matisse où elle se lance dans un superbe duo avec piano et attire soudain encore plus de danseurs... peut-être parce que La Danse est maîtresse ici. Quelques expressions intenses se mettent lentement à gagner les visages, comme si l'émotion se libérait, et que les corps qui l'avaient contenue jusque-là restituaient ces affects au contact des autres. Enfin, c'est l’apothéose, dans une Salle Albert Amon envahie par Messagesquisses (pour violoncelle solo et six violoncelles). Là, le lâcher-prise éclate : des hurlements retentissent alors que les interprètes, transformés en êtres possédés, bondissent les uns sur les autres, se battent presque, semblent laisser libre cours à des pulsions longuement enfouies et enfin réveillées par la force brute de la musique.

Tout n'est pas visible, tout n'est pas audible (ici au Musée des Beaux-Arts de Lyon)
© Blandine Soulage

Si son caractère transdisciplinaire et la beauté de la scénographie imaginée contribuent à la grande réussite de l'expérience proposée par Tânia Carvalho, ce qui s'avère presque magique surtout est la sensation d'avoir vécu un moment suspendu, entre infini et inachevé – sensation très particulière pouvant résumer « l’effet Boulez » engendré par la complexité et le génie de l'œuvre du compositeur.

****1
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“un moment suspendu, entre infini et inachevé”
Rezensierte Veranstaltung: Musée d'Art Moderne, Paris, am 5 Oktober 2025
Tout n'est pas visible, tout n'est pas audible (Tânia Carvalho)
Jeune Ballet du CNSMD de Lyon
Ensemble chorégraphique du CNSMD de Paris
Musiciens du CNSMD de Paris
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