On s’en rappelle encore. À l’automne 2014, sortant tout juste de 8 ans de travaux, l’auditorium tant attendu ouvrait ses portes et son rideau à la première saison concoctée par Antoine Manceau, conseiller pour la programmation musicale. Très rapidement, l’acoustique issue des cabinets Nagata s’était imposée comme l’une des plus efficientes de la capitale, pour son atmosphère intimiste, pour sa couleur à la fois claire et chatoyante. Trois saisons plus tard et la voilà devenue l’une des salles parisiennes les plus en vue pour le piano, avec comme particularité de se focaliser explicitement sur la jeunesse, ce qu’aucun autre organisme français, qu’on sache, n’avait osé à ce degré. Certains diront que c’est une question de perspective – après tout, la famille Arnault compte plusieurs excellents pianistes –, il n’en reste pas moins que la série “Piano nouvelle génération” est parvenue en trois ans à se créer un nom au sein d’un public varié, allant du fin mélomane à l’amateur d’art un peu touche-à-tout.
C’est que, avec l’ouverture en 2015, de l’ambitieuse Philharmonie et de ses 2400 places, il fallait avoir des objectifs réalistes. Pour cohabiter aux côtés d’un tel géant, il faut être présent sur un autre front, sur un créneau radicalement différent : certes plus modeste, jauge de 350 places oblige, mais autorisant une programmation plus audacieuse. Alors qu’en France, nombre de projets ont une coloration lucrative, à la Fondation Louis Vuitton, les prix exorbitants n’ont pas cours. Ici, les clients se bousculent au portillon et les places partent vite. Enfin, avec pas moins d’une dizaine de concerts par ans spécialement dédiés à la nouvelle génération, la Fondation se positionne massivement en faveur des jeunes artistes. On l’aura compris, la programmation de cette saison n’y déroge pas. De décembre 2017 à juin 2018, le public aura l’occasion de voir et d’entendre pas moins de sept jeunes étoiles.
Prochain à entrer en lice, Behzod Abduraimov (le 7 décembre) est un jeune loup aux fabuleuses phalanges. Après une Sonate de Liszt dont on imagine sans peine qu’elle terrassera par sa force d’impact, le pianiste ouzbek nous servira l’une de ses grandes spécialités, la terrifiante 6ème Sonate de Prokofiev – sous ses doigts une véritable jungle vibrationnelle ! Autre convive de marque, la pianiste italienne Beatrice Rana (le 20 janvier), qui après avoir repoussé les limites de Bach dans ses récentes Variations Goldberg, s’attaque à présent au Schumann des Études Symphoniques et aux Miroirs de Ravel. Préparez-vous à l’onde de choc qui soulèvera l’auditoire quand elle fera sonner les trois volets de l’Oiseau de Feu, à la faveur de l’ébouriffante transcription de Guido Agosti. La prise de risque que constitue, pour un jeune, de jouer des monuments absolus, n’est pas pour effrayer ces deux numéros-là ; Abduraimov et Rana n’ont aucun complexe, et on les en remercie de bonne grâce !
Le maître de Bonn est également très courtisé cette année : après les n°8 “Pathétique” et n°30 par Seong-Jin Cho (le mois dernier), ce sera au tour de Giuseppe Guarera (le 9 mars) et Sélim Mazari (le 8 juin) de défendre, respectivement, la n°23 “Appassionata”, et les Sonates n°16 et n°31. On remarquera la volonté de chacun de montrer que leur répertoire n’est pas réductible aux poncifs mais sait s’ouvrir à l’original. Sélim Mazari se penchera sur l’art délicat de Scarlatti, dont il interprétera une sélection de Sonates, tandis que de son côté, Guarera ira chercher l’exotisme chez Debussy (les Estampes) et Liszt (la rare Rhapsodie espagnole). Au préalable, les fuyantes arabesques des Etudes-tableaux op. 39 de Rachmaninov auront déjà mis les doigts du pianiste à rude épreuve.