Quel plaisir de pouvoir enfin participer à cette communion laïque que représentent les premiers pas dans l’édifice noir et gris de la Philharmonie. Tout le monde en parle et nous mesurons notre chance de pouvoir profiter du nouveau timbre de l'Orchestre de Paris dans cette salle moderne, courbe et toute en jeux de lumières. Évidemment, nous pourrions parler de ce frisson que nous ressentons à devoir se frayer un chemin entre les grues et les bâches pour pouvoir accéder à la salle de concert ; il y a le petit côté intime de l’ami qui vous invite à l'écouter jouer dans sa chambre mal rangée. Mais allons droit au but.
Il ne faut pas se laisser bercer par les harmonies conventionnelles et le traitement du piano tout en gammes et arpèges du Concerto pour piano No.4 de Ludwig van Beethoven : il revisite complètement et philosophiquement la relation entre le soliste et l’orchestre. Ce contemporain de Hegel nous amène sur le bord de notre siège en faisant jouer d’abord et seul le soliste, qui égrène doucement un motif de notes répétées, sorte de réservoir dans lequel Beethoven viendra puiser tout au long du concerto de quoi construire la superstructure, tel un architecte qui ne chercherait qu’à peine à dissimuler les coutures de son édifice sous les bâches de son expressivité.
Neuburger au piano n'a pas besoin de se cacher : en un accord plaqué, il fait comprendre la musique de Beethoven. Le second mouvement nous a tous obligés à une attention peu habituelle : l’orchestre, à l’unisson, sentencieux et sévère, interroge le piano qui répond seul, calmement, avec la nostalgie d’un triste récitatif. Christoph von Dohnányi est comme un artisan devant une grande et magnifique machine : il donne tous les départs, il est partout, s'agite comme un jeune chef voulant encore faire ses preuves. Et tout cela, aidé par le toucher proche du pianoforte de Jean-Frédéric Neuburger – dont la présence quasi lunaire, comprendre géniale et concentrée, nous rappelle les grands pianistes que nous avons aimés au siècle dernier. Pas de grandes envolées mais une joie simple et contenue qui nous confirme instinctivement la justesse de l’interprétation : le matériau musical est exploité pour ses qualités expressives mais l’attention portée à l’architecture n’est jamais très loin. Notons enfin que l’acoustique nouvelle, très analytique, permet la mise en valeur de différents plans sonores qui nous donnent sans cesse des choses à entendre et à redécouvrir.