Mélomane en quête d’épure, amateur de style quintessencié, la Symphonie n° 7 de Bruckner que donnait Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra au Théâtre des Champs-Elysées n’allait sans doute pas être votre tasse de thé. Vendredi dernier, les interprétations du chef finlandais révélaient une fois de plus une volonté de faire jaillir, analytiquement quoique souvent avec démesure, la moindre intention musicale contenue dans la partition.
L’attention des pupitres et du public est à son comble dans les premières mesures du prélude de Tristan. D’abord presque timide, comme dans une sorte d’immobilité stellaire, la voix des violoncelles s’avance en un cheminement tendre et sensuel de plus en plus intense : vision majestueuse, étayée par un grand rythme pendulaire, comme une mer avec ses flux et reflux, que Salonen sait pourtant rendre presque imperceptible. En dépit de la grandeur cosmique de l’œuvre, et bien que l’on distingue d’emblée toute la richesse de cet orchestre moelleux, profond et chaleureux, on a cependant quelque mal à saisir la direction d’ensemble de cette interprétation, dont les parties se succèdent, toutes magnifiquement maîtrisées, mais manquent parfois d’aspiration vitale.
C’est une des grandes réussites de la direction d’Esa-Pekka Salonen que de révéler, dans La Nuit Transfigurée de Schönberg, une cohérence de structure et une tension dramatique (qui se concrétisent singulièrement dans la deuxième section). Les complexes intrications polyphoniques de l’œuvre s'accommodent parfaitement de cette interprétation qui aime jouer d’effets de seuils : des manières d’accumuler l’énergie, de concentrer le son à l’approche des points de rupture de la partition. Salonen semble parcourir certaines parties à rebrousse-poil, comme pour les ébouriffer, souligner certaines audaces de l’écriture. L’œuvre y gagne un relief, des ramifications, de nouvelles perspectives. Ce qui est certain, c’est qu’une telle lecture admet difficilement des comparaisons : elle invente ses propres formes, ses propres mesures de temps, et l’on y avance comme sur un continent inconnu qui dément à chaque pas nos certitudes.
La Symphonie n° 7 de Bruckner par Esa-Pekka Salonen porte des fruits bien juteux. Dès l’ « Allegro moderato », l’ensorcellement par le timbre a lieu instantanément. Et bien que le chef privilégie contraste et variété, les sons d’apparence les plus distincts s’intègrent toujours dans une succession harmonieuse ; avec lui, on décèle toujours le fil mystérieux de cette musique qui nous conduit hors du monde ou, pour mieux dire, au fond de nous-même. En dépit de l’acoustique très directe du Théâtre des Champs-Elysées, qui n’aidera pas une flûte ce soir un peu éteinte et un pupitre de violons moins opulent qu’avec Nelsons il y a quelques mois, les quelques dix violoncelles du Philharmonia se font rapidement remarquer par des attaques sachant trancher, des sonorités puissamment colorées. L’ « Adagio » prolonge l’envoûtement, voyage onirique coloré par la métamorphose progressive des timbres qu’impose le chef dans les motifs inlassablement répétés.