Pour son troisième concert en tant qu'artiste en résidence de l'Orchestre Philarmonique de Strasbourg, le pianiste Cédric Tiberghien, fort de sa récente interprétation du Concerto n°2 de Beethoven aux côtés d'Eliahu Inbal, apparaissait cette fois-ci en solo pour nous livrer un programme très personnel, emprunt d'une étrange gravité. L'Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse, avec ses places limitées et son acoustique feutrée, propice à une écoute attentive, était le lieu tout désigné d'une soirée de grande qualité placée sous le signe de l'introspection. Car ne nous y trompons pas : malgré son parcours de jeune prodige, Cédric Tiberghien possède une conscience déjà très approfondie de son art et de ses innombrables facettes, ainsi qu'un goût revendiqué pour le partage et la pédagogie. En témoigne, cette manière originale d'aviver l'attention de son auditoire en prenant le temps, entre les morceaux, d'expliquer en mots choisis les raisons qui l'ont amené à choisir telle ou telle œuvre dans la constitution de son programme. Celui-ci allait d'ailleurs se révéler très cohérent, centré sur la Sonate op.1 de Berg et gravitant autour des tonalités majeures ou mineures de si et de do.
L'Adagio en si mineur, K540 de Mozart, qui ouvre le récital, nous plonge dès les premières notes dans une atmosphère de détresse profonde, traversée ça et là par des moments de révolte ou de nostalgie. La partition du génie autrichien, peut-être l'une des plus sombres de son catalogue, est difficile à interpréter dans la mesure où son style très épuré confère aux silences et aux effets de suspension harmonique une fonction dramatique particulièrement intense, qu'il s'agit de faire ressortir. Cédric Tiberghien s'y emploie avec un investissement émotionnel sans failles, cherchant par la finesse de son toucher des couleurs toujours plus expressives qui rappellent les différents timbres de l'orchestre. Par la justesse de ses intentions musicales, le jeune pianiste parvient sans peine à nous emmener avec lui dans cette longue méditation intérieure qui se terminera malgré tout, grâce aux derniers accords majeurs, sur une note d'espoir.
D'un caractère beaucoup plus fantasque, la Sonate pour piano n°9 en si majeur de Schubert fait la part belle aux contrastes de dynamiques et de tempi, le tout dans une écriture juvénile où domine le sentiment de liberté. Au long des quatre mouvements qui composent cette œuvre de divertissement, Cédric Tiberghien fait montre d'une belle concentration, s'appliquant sur chaque note, rehaussant chaque élément rythmique ou mélodique d'une énergie nouvelle. Une démarche rigoureuse que le pianiste adopte en fait quel que soit le répertoire abordé, d'autant plus si celui-ci requiert de grandes capacités techniques.