À Radio France, la fête était programmée le 18 juin, mais c'est le lendemain avec l'Orchestre National de France et Simone Young qu'elle a eu lieu. Le programme un peu de bric et de broc ne laissait pas augurer le feu d'artifice qui nous a été servi par des interprètes aussi inspirés, un feu d'artifice en trois salves.
Le premier événement, c'est cette Symphonie « Jupiter » de Mozart que l'Orchestre National de France n'a probablement plus jouée depuis longtemps, depuis surtout que les phalanges symphoniques traditionnelles n'osent plus aborder un répertoire classique revisité par des formations historiquement informées. Ni les musiciens du National, ni la cheffe australienne ne cherchent à imiter ou singer ce qu'en leur temps Harnoncourt ou Gardiner avaient imposé. L'orchestre joue comme un vaste ensemble de chambre alors que l'effectif des cordes est opulent, preuve que légèreté ou lourdeur ne sont pas affaire de nombre, mais d'homogénéité, de couleur et d'articulation.
Dès la fière affirmation de l'ut majeur initial, Simone Young signe une vision jubilatoire où l'énergie est toujours soumise au cantabile. Opérant toutes les reprises, elle surprend l'auditeur en variant subtilement les intensités, les couleurs de l'orchestre, en particulier des bois. Au-dessus de ces derniers, les deux cors à gauche, les timbales baroques au centre, les trompettes à droite, nous révèlent des ponctuations, des éclats parfois, trop souvent noyés dans la masse des cordes. Ce soir, on admire tout autant l'équilibre que l'élan, la précision que l'ardeur. On a en réalité ce sentiment trop rare d'un Mozart qui coule de source. Le menuet aux allures de scherzo est d'une élégance, d'un charme portés par une irrésistible jubilation qui va culminer dans un finale d'anthologie. L'Orchestre National et la cheffe font une démonstration exceptionnelle de cohésion et de virtuosité dans le fabuleux contrepoint à cinq voix sur lequel Mozart achève son ultime chef-d'oeuvre symphonique.
Avant ce finale jupitérien, le concerto pour piano et trompette de Chostakovitch aura échappé aux habituels clichés interprétatifs de l'œuvre d'un jeune homme de 27 ans. En 1933, Chostakovitch est dans l'ombre portée des cinq concertos que Prokofiev a destinés au piano entre 1912 et 1932, et pour quelque temps encore, il peut composer librement, affirmer tout ensemble une modernité et un lyrisme qui iront toujours de pair. Trop souvent les pianistes ne retiennent que les aspects motoriques, percussifs, ironiques, de leur partie. On est frappé ce soir par l'approche très classique du pianiste, la qualité du son – qui nous rappelle celles du compositeur lui-même qui enregistrait ses concertos en 1957 avec le même orchestre national et André Cluytens. Cédric Tiberghien n'oublie jamais la dimension lyrique de l'œuvre et ne se jette pas sur les passages virtuoses comme un dragon sur sa proie ; il donne des couleurs, des intensités subtilement dosées aux passages réflexifs et au contraire fait sonner et même tonner son clavier lorsqu'il le faut. Son partenaire, le trompette solo du National, Andreï Kavalinski, n'est pas en reste de traits d'humour et de sarcasme. Ils reviendront donner en bis la célèbre Romance d'Anton Rubinstein. Les cordes du National sont d'une netteté, d'une cohésion vraiment admirables, guidées en toute sécurité par une cheffe au geste aussi généreux que précis.