« Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ». Non, on ne s’est pas recyclé dans la critique de cinéma – quoique la musique de György Ligeti se prêta parfaitement aux images de Stanley Kubrick – mais puisqu’Atmosphères est à l’honneur ce soir dans l’Auditorium de Radio France, la question posée par Arletty dans Hôtel du Nord se recycle quant à elle très bien ; est-ce que ça a une gueule d’Atmosphères ? Pour qui découvre les fameuses micropolyphonies et autres polyphonies sursaturées du compositeur, probablement. En revanche, l’oreille exercée y décèle encore trop de détails, trop d’entrées, trop de notes pour être pleinement happée par la matière ou éblouie par ses iridescences. Malgré la belle fusion de ses vents, l’Orchestre National de France dessine une forme qui, au lieu d’être impalpable devient saisissable, comme un nuage dont on apercevrait les molécules.
S’agissant des nuages propres à la période occidentale du compositeur – ces clouds dont Karol Beffa rappelle à juste titre, dans la note de programme, qu’ils sont l’un des deux pôles, avec les clocks, de la musique de Ligeti –, le programme de ce soir en fournit un second exemple avec Lontano. Cette fois-ci, le résultat est au rendez-vous : les cordes trouvent l’homogénéité qui leur faisait défaut dans l’ouvrage précédent, l’espace acoustique s’élargit, l’impression sonore gagne en fluidité et en abstraction. Emporté par l’éther de cette brume opaque, illusionné par le semblant de statisme, bercé d’imperceptibles échos, l’auditeur projette mille images sur cet écran en constante mutation et achève son voyage bien loin – ou plutôt molto lontano – de son point de départ.
Mis en regard l’un de l’autre et enchaînés sans interruption sous la direction de François-Xavier Roth, ces deux opus rappellent autant la cohérence de l’œuvre de Ligeti que ses (micro)variations, mais également la nécessité de soigner les plus infimes détails pour garantir une interprétation fidèle aux volontés du Hongrois. En seconde partie, le sévère et formel Ricercare pour orgue seul complétera, sous les doigts (et les pieds) de Lucile Dollat, le premier triptyque consacré au compositeur pour son centenaire.
À la métaphysique de Ligeti, François-Xavier Roth a décidé d’opposer, de façon très perspicace, la face diabolique des deux autres géants hongrois que sont Franz Liszt et Béla Bartók. Malheureusement pour le premier, sa Totentanz pour piano et orchestre se heurte à un problème majeur : la candeur tout à fait incompréhensible de François Dumont dans cette pièce pourtant infernale et sardonique. Peut-être le soliste a-t-il cherché à faire émerger la spiritualité – dont on sait qu’elle était chère au compositeur des Années de pèlerinage – cachée derrière la superposition de soufre et de sarcasme ; toutefois, les conceptions de Dumont semblent avoir eu raison du démon lisztien, car en fin de compte il ne reste plus pour l’auditeur qu’un piano mou, enrobé de pédale, enveloppé de legato, aux antipodes du diabolus in musica. L’orchestre, trop compact et complaisant avec cette vision doucereuse du Dies Irae, ne donne pas beaucoup plus de satisfaction.
Heureusement pour Bartók, son Mandarin merveilleux peut compter sur un orchestre cette fois-ci bien en place ; heureusement, car ce ballet aussi virtuose que délicat est d’une rare exigence pour les musiciens. De ce point de vue, la section de cuivres du National (et notamment le pupitre de trombones) éblouit, ainsi que la petite harmonie d’où émerge la clarinette de Patrick Messina, moins langoureuse que sordide à souhait.
Toutefois, on reste quelque peu extérieur aux vues de François-Xavier Roth : si son interprétation expressionniste se défend dans cette œuvre initialement prévue pour la scène, il faut aussi que l’élan suive. Or la tension semble ce soir s’effilocher au gré d’une narration trop portée sur l’anecdote et l’illustration. À ce titre, l'épisode de la poursuite de la prostituée par le mandarin, censé scotcher l’auditeur à son siège, l’entraîner dans un tourbillon de vices, de stupre et d’insalubrité, montre trop peu d’urgence et de relief, se révélant plutôt digne d’un cartoon à la Looney Tunes que d’un film noir à la Fritz Lang. Néanmoins, la construction très convaincante de ce programme, la qualité de la phalange radiophonique dans Bartók, ainsi que le plaisir d’entendre quelques-unes des plus belles pages de Ligeti aident l’auditeur, au sortir du concert, à oublier ces quelques désagréments.
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