Il est 21h passé de quelques minutes et Mozart fait son entrée salle Cortot, en jean et perruque blanche, parfaitement à son aise, allant jusqu’à s’emparer d’une caméra dans le public pour filmer les musiciens de l’Ensemble Appassionato. Étonnant, au beau milieu d’une exécution de la Gran partita ? Non ! Tel est le concept-phare lancé en 2015 par le violoncelliste et pédagogue Jérôme Pernoo au Centre de musique de chambre, dont l’ouverture de saison avait lieu ce jeudi soir : proposer des « concerts-spectacles », ajoutant autour d’une œuvre une trame, un récit, une mise en scène. Les musiciens ne se contentent pas de jouer leur partition de mémoire (chose déjà peu courante en musique de chambre), ils incarnent des personnages placés dans un décor, un contexte, lâchant parfois leurs instruments pour lancer des répliques.
Ce soir, Mozart himself affronte donc son ami clarinettiste Anton Stadler dans une partie d’échecs en sept coups, parallèlement aux sept mouvements d’une autre « grande partie », la fameuse Sérénade n° 10 « Gran partita ». Les dialogues des deux adversaires sont constitués d'extraits de la correspondance du compositeur, ce qui permet de « faire parler » un Mozart plus vrai que nature en se mettant à l’abri d’éventuels reproches historiques : impossible de contester ce que le génie a lui-même écrit noir sur blanc ! Si le compositeur passe parfois pour un jeune idiot obsédé par des choses peu musicales, il ne pourra donc s’en prendre qu’à lui-même. Amis compositeurs d’aujourd’hui, filtrez votre boîte-mail : dans quelques siècles, votre réincarnation pourrait vous jouer des tours sur scène…
Si certaines citations ne sont pas indispensables et sentent l’Amadeus réchauffé, le spectacle du soir a son lot d’idées brillantes : quelques phrases bien choisies, quelques pas bien sentis rehaussent la musique et lui donnent tout son sens. Dans le thème et variations ou dans les menuets, la mise en espace propose à elle seule une interprétation qui éclaire l’œuvre. Ici, ce sont un hautbois, une clarinette et une clarinette basse qui discutent, l’ensemble des voix secondaires étant placées en retrait. Là, c’est un cercle dansant qui se met en place, se sépare et se regroupe pour le retour du thème, soulignant la structure de l’ouvrage. Le texte quant à lui foisonne d’allusions au contexte historique et d’informations sur l’écriture mozartienne : en cette deuxième moitié de XVIIIe siècle, on y apprend que le plus connu de la famille Bach était Johann Christian (et non Johann Sebastian), tandis que la relation entre le jeu instrumental et le chant lyrique, élément primordial pour interpréter (et comprendre) Mozart, est intelligemment mise en avant.