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L'hommage à Scriabine de Clément Lefebvre, Salle Cortot

Por , 14 abril 2025

Clément Lefebvre fête la sortie de son nouveau disque, Salle Cortot, devant un public venu nombreux. On lui devait déjà deux albums admirables, dont un récital François Couperin qui a les honneurs d'une belle citation dans Les Baroqueux : un demi-siècle de musique, 1949-2001 de notre confrère Renaud Machart, ci-devant critique musical au Monde qui livre là une réflexion passionnante sur le mouvement d'interprétation qui a tout changé (Editions Fugue, 2024). Et à juste titre, car le pianiste y démontre effectivement un équilibre parfait entre savoir historique et un art pianistique ne cherchant pas dans l'imitation du clavecin un historicisme désuet. Mais cette fois-ci, après un passage remarqué par Ravel, Lefebvre s'est attaché à Alexandre Scriabine, compositeur moins fréquenté que Rachmaninov.

Clément Lefebvre
© Lyodoh Kaneko

Pour fêter son album, le pianiste a décidé de jouer Claude Debussy, un contemporain du Russe, et Chopin dont la musique sera leur matrice originelle à tous deux. Debussy pour commencer avec le second livre des Images, triptyque que Lefebvre aborde avec un piano sensuel, profondément incrusté dans le clavier et sans cet hédonisme un peu creux qu'on y entend encore parfois avec l'idée que l'impressionnisme ce serait cela. « Cloches à travers les feuilles », « Et la Lune descend sur le temple qui fut » sont parfaits de dessin et de couleurs, de densité et d'articulations. Pas « Poissons d'or » qui frétille en eaux trop chargées, sans que l'on ait sans cesse la sensation d'une musique qui n'a ni poids ni arêtes pour la saisir. C'est beau mais statique.

Les deux Impromptus op. 12 de Scriabine suivent. La musique descend de deux étages. C'est très joli, mais cela demande un piano de diamantaire, multicolore et allusif. Lefebvre est musicien mais pas assez roué pour pousser cette musique trop loin. Il met aussi un peu trop de pédale. Comme dans l'Impromptu op. 36 de Chopin, œuvre qu'on oublie de compter au rang des grands chefs-d’œuvre de Chopin et que le pianiste joue aussi de façon trop terrestre, avec un son trop... sonore dans cette Salle Cortot qui l'est tant. Eu égard à l'élégance proustienne d'un impromptu qui musarde en portant un regard en coin sur la musique de son temps dont il s'extrait.

Vient la Ballade op. 52, la dernière des quatre. Là encore, on remarque sans doute un manque de décantation sonore, de transparence, de laisser aller la musique sans jamais la retenir pour la rendre expressive. Lefebvre raccourcit les longues phrases par une ponctuation trop marquée et une pédale trop présente qui fait qu'on ne sent pas l'irrépressible enchaînement de ses épisodes-variations avant une coda de jugement dernier. Mais quelle allure quand même, et quelle noblesse dans cette œuvre qui fait si peur qu'on se remémore Shura Cherkassky disant dans sa loge : « cette musique est trop difficile, je ne l'ai jamais vraiment bien jouée, je cours après elle et espère qu'elle m'aimera un jour. » Lefebvre n'est pas loin de cette félicité qui lui prendra une vie comme aux autres.

Vient Wagner et sa Mort d'Isolde transcrite par Liszt, autre inspiration de Scriabine mais plus explicitement dans ses symphonies que dans sa musique de piano. Splendide. Le piano orchestral de Lefebvre trouve son plein accomplissement comme il va le trouver dans les œuvres du héros de ce récital avec le Poème op. 32, deux Impromptus et la Sonate n° 3 qui sont le cœur de son nouveau disque qui vient de remporter un Diapason d'or.

Quelque chose se passe, ce Scriabine-là est plus intéressant que les zakouskis de la première partie. Il va mieux à ce piano intelligent, cérébral même, qui se soucie d'équilibres, de contrastes pour édifier un monument stable et coloré, sensible et quasi en état de dépassement de soi, quand le musicien lâche les chevaux. C'est bizarre, mais on dirait même que l'instrument a changé, qu'il s'est ouvert après l'entracte. Ce Scriabine encore jeune n'est pas encore le compositeur cosmique et pour tout dire totalement « barré » comme on dit, qu'il sera dans ses dernières œuvres, mais il n'est plus l'épigone de Chopin et de Schumann. Et Lefebvre rend admirablement bien compte de cette fracture qui s'annonce... 

***11
Sobre nuestra calificación
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“un piano qui se soucie d'équilibres, de contrastes pour édifier un monument stable et coloré”
Crítica hecha desde Salle Cortot, París el 10 abril 2025
Debussy, Images, Set 2
Scriabin, 2 Impromptus, Op.12
Chopin, Impromptu en fa sostenido mayor, op. 36
Chopin, Balada núm. 4 en fa menor, op. 52
Liszt, Isolde's Liebestod from Wagner's Tristan und Isolde, transc. for piano, S 447
Scriabin, Poème in F sharp major, Op.32 no.1
Scriabin, 2 Impromptus, Op.14
Scriabin, Sonata para piano núm. 3 en fa sostenido menor, op. 23
Clément Lefebvre, Piano
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