Clément Lefebvre fête la sortie de son nouveau disque, Salle Cortot, devant un public venu nombreux. On lui devait déjà deux albums admirables, dont un récital François Couperin qui a les honneurs d'une belle citation dans Les Baroqueux : un demi-siècle de musique, 1949-2001 de notre confrère Renaud Machart, ci-devant critique musical au Monde qui livre là une réflexion passionnante sur le mouvement d'interprétation qui a tout changé (Editions Fugue, 2024). Et à juste titre, car le pianiste y démontre effectivement un équilibre parfait entre savoir historique et un art pianistique ne cherchant pas dans l'imitation du clavecin un historicisme désuet. Mais cette fois-ci, après un passage remarqué par Ravel, Lefebvre s'est attaché à Alexandre Scriabine, compositeur moins fréquenté que Rachmaninov.
Pour fêter son album, le pianiste a décidé de jouer Claude Debussy, un contemporain du Russe, et Chopin dont la musique sera leur matrice originelle à tous deux. Debussy pour commencer avec le second livre des Images, triptyque que Lefebvre aborde avec un piano sensuel, profondément incrusté dans le clavier et sans cet hédonisme un peu creux qu'on y entend encore parfois avec l'idée que l'impressionnisme ce serait cela. « Cloches à travers les feuilles », « Et la Lune descend sur le temple qui fut » sont parfaits de dessin et de couleurs, de densité et d'articulations. Pas « Poissons d'or » qui frétille en eaux trop chargées, sans que l'on ait sans cesse la sensation d'une musique qui n'a ni poids ni arêtes pour la saisir. C'est beau mais statique.
Les deux Impromptus op. 12 de Scriabine suivent. La musique descend de deux étages. C'est très joli, mais cela demande un piano de diamantaire, multicolore et allusif. Lefebvre est musicien mais pas assez roué pour pousser cette musique trop loin. Il met aussi un peu trop de pédale. Comme dans l'Impromptu op. 36 de Chopin, œuvre qu'on oublie de compter au rang des grands chefs-d’œuvre de Chopin et que le pianiste joue aussi de façon trop terrestre, avec un son trop... sonore dans cette Salle Cortot qui l'est tant. Eu égard à l'élégance proustienne d'un impromptu qui musarde en portant un regard en coin sur la musique de son temps dont il s'extrait.