Il ne faut pas avoir peur du vide pour se lancer ainsi, à corps perdu, dans l’arène géante du Royal Albert Hall, surtout avec une première partie si peu consistante. Certes, Gustavo Dudamel n’hésite jamais à se faire la vitrine du répertoire latino-américain, mais cet après-midi, rien n’y fait : le choix des œuvres déçoit. Sauvés par Ravel … de la Suite n°2 de Daphnis et Chloé et de la Valse, le chef donne deux lectures assez peu spiritualisées, en l’occurrence plutôt téméraires, centrées sur l’action. La musique, Dudamel la fait à l’esbroufe, poussant le Simón Bolívar à ses limites de puissance et de vélocité.
Le concert débute sur Hipnosis Mariposas de Paul Desenne , où une trompette à la prosodie un peu gauche fait entendre des relents de jazz classieux, sur fond de perpetuum mobile. Le problème, c’est que l’œuvre n’est pas assez consistante pour être ainsi écoutée pure, sans artifice. Musique un peu effacée, en manque d’autorité, où quelques tutti mémorables ne suffisent plus à cacher le creux du texte musical, et surtout le manque d’action (à compenser par les effets de figuration propres aux percussions exotiques : appeaux, xylophone, shakers, le fourbi habituel). Car pour rédimer le classicisme de sa musique, Paul Desenne la nourrit d’un exotisme forestier ; des couleurs qui auraient pu rappeler Fazil Say si elles ne glissaient fatalement vers les teintes céladon. Même tarif pour les Bachianas Brasileiras n°2 de Villa-Lobos (aux moyens très semblables, malgré les 70 et quelques années d’écart). Un hommage à Bach, indique le programme. Mais Villa-Lobos se contente d’explorer les modes aéoliens, dans une musique faite d’ostinatos et de déhanchés qui laissent peu de place à la respiration musicale. Les cadences sont trop attendues, la moindre prise de parole à l’avenant. A vrai dire, les dissonances ne semblent avoir aucun rôle dans la trame harmonique, elles se contentent de ponctuer : Exotisme, au sens que lui donne Segalen. A l’écoute, les mouvements ne présentent pas la moindre parenté entre eux, n’en montrant pas davantage envers l’œuvre du Cantor. Hélas, encore de ces œuvres qui demandent la nervosité et le caractère d’un orchestre jazz, ce qu’une phalange classique ne sera jamais en mesure de restituer. Les musiciens pas plus que le public ne semblent convaincus ; tous deux font preuve d’un enthousiasme un peu forcé. Sans doute réservent-ils leur concentration pour Ravel ?