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Federico Gad Crema et Arthur Hinnewinkel impressionnent aux Sommets Musicaux de Gstaad

Por , 05 febrero 2024

La petite chapelle Saint Nicolas de Gstaad est posée sans prétention au milieu de la rue principale du village. Sa façade blanche et nue, surmontée d’une petite croix, tranche entre les magasins de luxe et restaurants étoilés. La poignée de mélomanes venus s’amasser sur les petits bancs de bois de la chapelle annonce des enjeux différents de ceux des prestigieux concerts du soir à Saanen, de la valse des berlines et des spectateurs tous aussi élégants les uns que les autres : c’est ici que se déroule la série dédiée aux jeunes pianistes, ils sont sept à se succéder au piano tout au long de la semaine. Nous assistons aux deux derniers récitals : celui de Federico Gad Crema, qui remplace Tähe-Lee Liiv au pied levé pour celui du jeudi, et celui d'Arthur Hinnewinkel le vendredi.

Federico Gad Crema dans la chapelle de Gstaad
© Raphaël Faux

Commençons par le premier : l’Italien vise l’intensité expressive dans la Fantaisie op. 28 de Scriabine, par un geste racé et aiguisé que l’on trouvera tout au long du concert. Le discours est intelligible jusque dans le magma d’accords, comme cela sonne ! Pour une beauté secrète et délicate, on repassera ; Gad Crema déclame les textes avec une voix de stentor qui sonnerait large et grand dans un auditorium de 2.000 places. On ne reprochera pas à ce pianiste de jouer fort, c’est sa vision de l’œuvre : le phrasé n’est jamais vulgaire, les contrechants sont splendides et la tension est maintenue sur les longues progressions.

Dans cette chapelle au plafond bien bas, l’acoustique étouffe le chant. Federico Gad Crema s’en sort dans des effets de masse bien gérés, mais comme l’interprète est seul, bien seul dans cette acoustique quand le chant se simplifie ! Évacuons également le problème du piano, pas au niveau des interprètes, le jeudi comme le vendredi : le registre médium est mal équilibré, l'instrument mal accordé.

Federico Gad Crema attaque les Préludes op. 28 de Chopin, peut-être le plus grand cycle écrit pour l’instrument. Quelques réserves : comme il est dur, voire impossible de faire chanter l’ostinato de doubles croches à la main gauche du troisième prélude dans cette acoustique dépourvue de longueur de note ! Même problème dans le chant délicat du vingt-troisième prélude. Avec des textes offrant plus de matière, ce piano si brillant s’exprime en revanche à merveille. C’est le cas dans le Presto con fuoco : tout chante avec du relief et du caractère. Dans le monumental prélude final, Federico Gad Crema met ses immenses moyens un peu en retrait. C’est un vrombissement intérieur, presque contenu et émouvant… et puis ces trilles, ces arpèges et ces gammes magnifiques !

Federico Gad Crema dans la chapelle de Gstaad
© Raphaël Faux

L’œuvre Night and Day de Karol Beffa figure au programme de tous les jeunes pianistes se succédant à la chapelle de Gstaad. La commande du festival est travaillée le matin du concert avec le compositeur puis jouée l’après-midi en sa présence. Federico Gad Crema, qui a eu seulement trois jours pour préparer cette partition bien exigeante techniquement, s'abstient logiquement du premier mouvement. Ce qu’il tire du reste est néanmoins tout à fait sérieux, notamment dans un finale électrique dans lequel ses qualités pianistiques s’expriment naturellement.

Pour une exécution complète (et admirable) de la pièce, tournez-vous vers Arthur Hinnewinkel. Le Français va au bout de l’ambiance inquiétante et spectrale du mouvement lent, en la jouant avec distance, comme un nuage sonore lugubre et distant. Le pianiste habite pleinement la toccata finale, avec tant de vigueur, d’énergie et une pointe d’humour ! Cette performance de haut vol lui permettra d’obtenir le prix André Hoffmann de la meilleure interprétation de la pièce, auquel s'ajoutera le prix Thierry Scherz qui lui donnera l'opportunité d'enregistrer avec un orchestre pour le label Claves.

Arthur Hinnewinkel dans la chapelle de Gstaad
© Raphaël Faux

Après avoir eu l’honneur d’un petit mot d’introduction de Renaud Capuçon, directeur musical du festival, Arthur Hinnewinkel avait lancé son récital par la Sonate op. 110 de Beethoven. Le jeune pianiste a eu la bonne idée d’ouvrir le Bösendorfer seulement partiellement, le son s’en trouve concentré, unifié, lissé. Dans ce premier mouvement, Beethoven donne peu, mais le français exploite tout – peut-être trop ? Comme Federico Gad Crema la veille dans la section centrale du Prélude op. 28 n° 20, Hinnewinkel refuse une passivité qui peut parfois servir le discours, notamment ici le dépouillement total de l’écriture de Beethoven. Écoutez Leonskaja dans ces pages : il ne se passe rien mais c’est à pleurer !

Le scherzo est bien rendu dans ses contrastes dynamiques, le pianiste y met de la surprise, de l’imprévisibilité. Arthur Hinnewinkel est chez lui dans le finale de la sonate, à l’aise dans la narration du duel entre l’arioso et la fugue. Cet arioso n’est pas un moment de recueillement mais une douleur sensible, ouverte et présentée au public. La fugue émeut d’abord par sa simplicité. Notons également la belle densité des accords qui mènent à l’explosion et la victoire totale de la fugue sur l’arioso.

Arthur Hinnewinkel dans la chapelle de Gstaad
© Raphaël Faux

Arthur Hinnewinkel excelle dans l'art de la narration, une qualité essentielle tant dans la sonate de Beethoven que dans l'univers plus énigmatique de la Fantaisie op. 17 de Schumann. Sa performance dans celle-ci est remarquable, avec une ouverture pleine de classe et un retour du thème qui s'intègre naturellement au flux musical, clôturant ainsi une première belle aventure. Les premières irruptions de la Légende au milieu du premier mouvement sont habilement mises en valeur, soulignant intelligemment la voix intérieure du second thème. Hinnewinkel présente cette Légende comme un chemin narratif différent, une illusion ou un rêve dans la pièce.

Son interprétation du deuxième mouvement est marquée par une force mesurée, évitant les excès souvent rencontrés chez d'autres pianistes. Il s’en sort également dignement dans la terrible coda. Le finale nous impose une élévation solennelle, émouvante et puissante, une lévitation poursuivie dans le Secreto de Mompou donné en unique bis.


Le voyage de Rémi a été pris en charge par les Sommets Musicaux de Gstaad.

***11
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“Arthur Hinnewinkel excelle dans l'art de la narration”
Crítica hecha desde Gstaad Chapel, Gstaad el 1 febrero 2024
Scriabin, Fantasie in B minor, Op.28
Beffa, Night and Day
Chopin, 24 preludios, op. 28
Federico Gad Crema, Piano
Crítica hecha desde Gstaad Chapel, Gstaad el 2 febrero 2024
Beethoven, Sonata para piano núm. 31 en la bemol mayor, Op.110
Schumann, Fantasía para piano en do mayor, Op.17
Beffa, Night and Day
Arthur Hinnewinkel, Piano
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