On manque d’adjectifs pour qualifier l’interprétation de la Symphonie fantastique de Berlioz qu’ont livrée Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris ce mercredi. Le premier qui vient à l’esprit c’est… fantastique ! Évidemment, du jeune Finlandais qui a déjà conquis ses musiciens parisiens en même temps que le public de la Philharmonie, on attendait impatiemment ce qui, surtout pour la formation fondée par Charles Munch en 1967, constitue un mètre-étalon de son répertoire. On avait déjà entendu Klaus Mäkelä surprendre et briller dans Richard Strauss, Sibelius ou Duruflé, on va bientôt découvrir les Stravinsky gravés pour Decca… Et voici que, pour la première fois, on a le sentiment d’entendre exactement ce que Berlioz avait rêvé : « Épisode de la vie d’un artiste, Symphonie fantastique en cinq parties ».
Mäkelä nous offre ce soir une démonstration phénoménale d’absolue rigueur et d’infinie liberté poétique. Il aborde l’œuvre comme il le ferait d’une création, ne s’embarrassant d’aucune tradition ou convention et nous fait ainsi littéralement redécouvrir une partition révolutionnaire qui n’a de symphonie que le nom, puisque Berlioz met en scène une suite de tableaux autobiographiques (qu’on appellera par facilité « poèmes symphoniques ») et invente ici l’orchestre moderne, explorant de nouveaux registres instrumentaux, des mixtures inédites.
Mäkelä construit un récit qui nous tiendra en haleine jusqu’au bout du cauchemar final de la « nuit de sabbat », en exalte la modernité, faisant ressortir quantité de détails d’instrumentation, d’accents, de couleurs, il en épouse toutes les inflexions rythmiques d’une main aussi souple que sûre. L’osmose avec ses musiciens est telle que le chef se paie le luxe de ne pas diriger la valse initiale du deuxième mouvement (« Un bal ») et son rubato parfois hésitant sous d’illustres baguettes. Il fera de même à l’orée du troisième mouvement (« Scène aux champs »), laissant cor anglais et hautbois (en coulisse) chanter librement leur « ranz des vaches ».
Dans la « Marche au supplice », Mäkelä réussit là où tant d’autres se fourvoient : foin d’une virtuosité triomphale des cuivres, mais point de pesante marche funèbre. Les cordes graves scandent le début du cauchemar, les cordes aiguës suivent sans vibrato, comme pour ajouter à l’ambiance glaciale d’une marche qui grince et grimace. Dans le dernier mouvement (« Songe d’une nuit de sabbat »), jamais nous n’aurons autant ressenti les ombres, les monstres, les squelettes, les bruits terrifiants que Berlioz décrit avec une gourmandise sans limites.