Nous assistons ce soir dans la Halle aux grains à un concert rare. D’abord par la présence à la tête de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse d'Ariane Matiakh, cheffe française qui dirige et enregistre bien davantage outre-Rhin. Ensuite, nous allons écouter un Pelléas et Mélisande nettement moins connu que le chef-d'œuvre de Debussy, celui de Fauré, et cinq mélodies du même compositeur qui ne sont jamais données ensemble. Enfin nous découvrirons un oratorio de Franck qui ne court pas les concerts. Joie de la découverte !
La suite que Fauré a tirée de son ballet Pelléas et Mélisande raconte tellement peu l’histoire imaginée par le dramaturge Maeterlinck qu’on pourrait presque se passer de l’argument. Il s’agit très simplement d’une des plus belles pages symphoniques du compositeur. Le Prélude, splendide et délicat, est pris sur un tempo retenu ; on retient aussi notre respiration mais on est vite emporté par un souffle, le discours est clair, Ariane Matiakh nous prend par la main et ne nous lâche pas. Le grand thème de Mélisande est splendide ; peut-être l’apparition de l’affreux Golaud est-elle un peu trop lisse mais ce n’est pas grave.
La Fileuse qui suit tisse un lyrisme placide, sans menace, sans orage, le rouet des violons impeccablement à sa place, présent et doux. La célèbre Sicilienne a le charme évocateur d’une campagne bucolique. Sa mélodie mémorisable entre mille restera longtemps à nos oreilles, habilement prolongée par une harmonie qui s’échappe des doigts magiques de la harpiste Liliana Safikhanova. Après qu’elle a aimé, puis chanté, Mélisande meurt. La marche funèbre qui se déploie dans la dernière pièce est tout en retenue, comme si la musique ne voulait pas avancer mais rester là, dans l’état de tristesse infinie qui emporte la jeune femme loin des bras de Pelléas.
S'ensuivent cinq mélodies de Fauré, bien plus connues dans leur version avec piano que dans leur orchestration, exhumée avec la complicité du Palazzetto Bru Zane. Ariane Matiakh lance, de sa baguette tenue en-dedans, un Clair de lune qui nous permet de découvrir la voix de Julien Behr, naturelle et détendue. Mais c’est en écoutant juste après la diction parfaite de Jean-Sébastien Bou dans En prière qu’on mesure le déficit de prononciation du ténor. En nous offrant chaque mot sur un plateau, le baryton appréhende sa partie avec douceur et humilité, à tel point que sa vision d’une mort sur la croix paraît presque apaisée.