On a plusieurs raisons de se réjouir d’assister, en ce 29 février, au concert de l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Daniel Harding : d’abord le format – moins de 70 minutes sans entracte – expérimenté ailleurs avec succès, repris cette saison à son compte par la Maison de la radio et de la musique ; ce n'est pas un hasard si l’auditorium est comble d’un public très familial. Le programme y est évidemment aussi pour quelque chose : Les Planètes de Holst sont un tube, surtout depuis que John Williams s’en est inspiré sans vergogne dans sa musique de Star Wars !

Daniel Harding en répétition avec le Philhar', sous l'œil attentif d'Éric Tanguy © Christophe Abramowitz / Radio France
Daniel Harding en répétition avec le Philhar', sous l'œil attentif d'Éric Tanguy
© Christophe Abramowitz / Radio France

L’autre raison plus personnelle est le bonheur de retrouver ensemble le chef anglais et le Philhar' neuf ans après une rencontre mémorable à tous points de vue – c’était au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et avec la participation du regretté Lars Vogt en soliste. Les années ont passé, Daniel Harding est devenu pilote d’Air France, a dirigé l’Orchestre de Paris le temps d’un bref mandat, mais ce soir le sentiment qui domine dès l’entame du concert est celui d’une entente immédiate, complète, entre les musiciens et le maestro.

Et puis il y a la présence d’un compositeur dont on a suivi pas à pas le formidable parcours, depuis l’audition il y a 30 ans de son premier quatuor ici même dans le cadre du festival Présences : Éric Tanguy. À ce programme « planétaire » figure la première parisienne de son poème symphonique Constellations, commandé par le Festival de Besançon en 2018. Le compositeur se dit « amoureux du beau son symphonique » et met en avant l’idée de « lyrisme orchestral ». Précisément, ce qu’on aime chez Éric Tanguy, c’est qu’il fait ce qu’il dit : l’écriture est aussi dense que précise, il n’oublie jamais ses modèles revendiqués, Sibelius et Dutilleux. Daniel Harding décante, éclaircit la matière sonore, tout en lâchant la bride à des musiciens manifestement ravis de l’opulence de ces Constellations.

Mais on s’interroge en écoutant cette manière de prélude aux Planètes qui vont suivre : le cylindre que forme l’auditorium de Radio France, inauguré il y a bientôt dix ans, n’est pas adapté acoustiquement au très grand orchestre. Même si le chef prend soin de calibrer, d’équilibrer la puissance de ses pupitres, il ne peut, sauf à dénaturer la substance même des œuvres, éviter une saturation certaine.

C’est bien ce qui va se passer dans l’œuvre de Gustav Holst, qui requiert un effectif orchestral particulièrement important. C’est la version originale des Planètes (1920) qu’on entend ce soir avec successivement Mars, Vénus, Mercure, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. En 2000, le compositeur britannique Colin Matthews avait rajouté une huitième planète, Pluton, découverte vingt ans après la composition de Holst ! Elle n'aurait pas déparé la soirée.

On est un peu surpris par le tempo très (trop ?) modéré qu’adopte Daniel Harding dans le premier « mouvement » (Mars, celui qui apporte la guerre), la lecture très littérale, analytique qu’il en propose. Est-ce une volonté de ménager le suspense, de ne pas abuser non plus des décibels ? L’orchestre semble un moment déstabilisé par cette prudence. Il retrouvera vite sa cohésion dans l’enchaînement avec le deuxième tableau (Vénus, celle qui apporte la paix). Harding privilégie la transparence et les trouvailles harmoniques d’un Gustav Holst qu’on sent soucieux de se distinguer d’une certaine pompe « elgarienne ». Quand arrive le troisième volet (Mercure, le messager ailé), un scherzo Vivace, les musiciens et le chef s'amusent des jeux de rythmes et de couleurs instrumentales.

Le même sentiment imprègne l’Allegro giocoso de Jupiter, celui qui apporte la joie jusqu’au troisième thème, qui résonne comme un hymne à Jupiter, chanté à pleine voix mais sans surcharge par tout l’orchestre. Le contraste est complet avec Saturne, celui qui apporte la vieillesse, sorte de marche funèbre qui culmine dans une fanfare terrifiante amplifiée par les cloches. Daniel Harding ménage ses effets en même temps que nos oreilles. Uranus, le Magicien est une pièce brillante et fantasque (proche de L’Apprenti sorcier de Dukas), avant une conclusion d’une douceur impalpable (Neptune, le Mystique) qui s’achève dans les éthers grâce aux voix des jeunes filles de la Maîtrise de Radio France cachées en coulisses. Celles-ci ne seront pas les dernières à recueillir les ovations du public, comme chacun des pupitres d'un Philhar'... solaire !

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