Reflet du disque tout récemment paru chez Alpha et augmenté de la très développée Sonate à huit, le concert de Gaveau ce 30 janvier proposait l’intégralité de la production de Charpentier consacrée au mythe d’Ovide – réponse tardive à l’Orfeo de Rossi donné à Paris en 1647 – et rassemblait les forces des ensembles A Nocte Temporis du ténor Reinoud van Mechelen et Vox Luminis de la basse Lionel Meunier.
La courte cantate Orphée descendant aux Enfers composée en 1683 pour trois voix d’hommes se signale par un somptueux lamento où les voix plaintives des violons et des flûtes se mêlent à celle d’Orphée. Fraîchement revenu d’Italie, le compositeur mêle ici science de l’harmonie et profonde connaissance des ressources expressives de la voix. Légèrement différente de celle de l’enregistrement, l’équipe instrumentale très soudée déploie des couleurs douces et fanées et forme un écrin idéal pour la voix toujours aussi lumineuse et expressive du ténor Reinoud van Mechelen. Les voix de Lionel Meunier (basse), Philippe Froeliger (taille) apportent dans le trio final un contrepoint sensible et un art consommé du discours, dans une lecture singulièrement nuancée que confirmera le reste du programme.
Succession de danses et de récits instrumentaux, la Sonate à huit proposait une manière d’entracte avant La Descente d’Orphée aux Enfers parue en 1686. Dans l’acoustique mate de Gaveau, contrastes et prises de parole paraissent bien ternes malgré l’art consommé d’Anna Besson à la flûte, Louis Creac’h au violon et Myriam Rignol à la viole et du très habile Anthony Romaniuk au clavecin. Les étonnants récits des basses divisées, l’appareil sonore spectaculaire où la danse prend d’ordinaire un brillant empire n’auront pas ce soir livré toutes leurs séductions.
La seconde partie du concert était consacrée au fameux opéra, première évocation française du mythe, dont ne subsistent que deux actes. On ne saurait trop louer le travail en profondeur réalisé par Reinoud van Mechelen et Lionel Meunier sur l’architecture musicale de l’œuvre dont les deux volets opposent nettement la France à l’Italie. Le livret très conventionnel y fait se succéder de manière un peu fruste réjouissances redondantes et lamentations appuyées ; les musiciens tireront de cette faiblesse un avantage inattendu dans leur version de concert. En effet le discours s’affranchit nettement des codes familiers que des décennies de dépoussiérage « historiquement informé » ont souvent appliqués à la musique française au point d’en assécher la substance. Ici, point de rythmes frétillants, d’inégalité robotique et d’indifférente scansion : une sourde mélancolie teinte déjà la fête et prépare habilement la transition vers le drame. Le temps musical très étiré permet au ténor belge de déployer une palette de nuances infiniment séduisante et de détailler l’expression du mot.