Salle Cortot, mercredi soir. Le quartier est sombre, la salle austère. Pourtant on y perçoit une ferveur singulière. Le petit monde de la guitare s’est déplacé en nombre pour saluer le phénomène du moment : Thibaut Garcia. Une ovation plébiscite l’entrée en scène du jeune homme. Devant un public acquis à sa cause, le guitariste souriant peut alors déployer ses ailes. On atterrira une heure et demie plus tard, après un récital de haut vol.
Ce qui frappe au premier abord, c’est la souplesse d’un jeu extrêmement soyeux, qui n’entre pas dans le métal des cordes. Les deux premiers mouvements de La Catedral d’Agustín Barrios Mangoré sont d’une fluidité bluffante, la main gauche de Garcia parcourant le manche sans le moindre bruit parasite, sans glissade, sans accroc. Cette patte de velours n’est pas pour autant dénuée de puissance ; conforté par l’excellente acoustique de la salle, le guitariste trouve la juste projection pour embrasser tout son auditoire.
Le microcosme de l’instrument a ses codes et son répertoire. Entre le dernier mouvement du Barrios Mangoré et les Cinq inventions d’Alexandre Tansman, le récital tourne à l’exercice de style. La réalisation est un sans-faute, la richesse des timbres est aussi admirable que l’élégance de l’artiste, mais le manque d’imagination de ces œuvres néo-baroques ne met pas en valeur toute l’intelligence réservée du musicien. On en viendrait presque à croire que Garcia n’est qu’un excellent praticien de son instrument. Tout s’éclaire entre les deux grands piliers de la soirée : la passacaille de Tansman tout d’abord, la chaconne de Bach ensuite. On aurait pu s’en douter. Prenant la parole entre les œuvres pour les présenter, Garcia montre une aisance d’orateur et une capacité de synthèse rares parmi les artistes, saisissant en quelques mots l’essence des pièces. Ce virtuose à la tête bien faite se délecte des œuvres de grande ampleur, à l’architecture complexe. Avec son thème insistant, la passacaille pourrait rapidement tourner en rond. Il n’en est rien : Garcia dessine une progression fluide dans la répétition, différencie facilement les lignes mélodiques qui pourtant s’accumulent, transcende les passages trapus avec une maîtrise technique bien au-delà de la norme. Le guitariste sait où il va et il y va tout droit, mais sans hâte, sans précipiter les événements musicaux, avec la sérénité de celui qui a étudié son chemin avec amour et en apprécie désormais le relief et ses moindres inégalités.