Témoignage de la générosité habituelle de la Cappella Mediterranea et de son chef Leonardo García-Alarcón, il y a eu deux concerts pour le prix d’un le samedi 20 septembre pour la célébration des 20 ans de l’ensemble au Festival d’Ambronay : avant le concert du soir, la répétition de l’après-midi s'est déroulée devant les curieux qui avaient eu la bonne idée de venir visiter l’abbatiale en cette après-midi particulière. Une salle déjà à moitié pleine rien que pour la répétition, d’un public non nécessairement acquis à la musique classique ou à l’opéra, c’est dire si le chef argentin sait captiver son auditoire !
Le soir venu, passées les présentations officielles ainsi que l’introduction sensiblement solennelle d'un García-Alarcón visiblement ému devant des applaudissements à leur paroxysme, l’orchestre entre in medias res dans l’Acis et Galatée de Haendel. L’histoire y est simple : Acis aime Galatée, qui l’aime en retour, mais c’est sans compter la jalousie de Polyphème qui écrasera Acis sous un rocher. Derrière la fable pastorale, c’est une fête des voix et de la musique. Dès l’ouverture, on entend même quelques accents tout mozartiens qui rappellent combien cette œuvre qui plaisait tant au jeune Wolfgang irradie dans ses compositions. Les dynamiques sont vives et tranchées. Quand les motifs sont exposés forte, ils sont immédiatement repris piano.
Nous voilà projetés dans une matière riante, fleurie, exaltante, éminemment printanière où le premier violon d’Amandine Solano babille par moments avec la fraîcheur d’un concerto de Vivaldi, le hautbois de Patrick Beaugiraud se parant de l’élégance d’un chardonneret qui fête les derniers jours de l’été. Très enjouée et théâtrale, la musique avance tout le temps, offrant en contrepoint du sentiment amoureux cette sensation presque mélancolique de course effrénée dans la vie. García-Alarcón choisira de terminer sa première partie, avant l’entracte, sur le premier chœur de l’acte II, occasion de monter un crescendo profond à l’orchestre et au chœur pour nous précipiter dans une course finale exaltante.
Cette joie à l’état pur, c’est aussi le duo « Happy we » entre Acis et Galatée – qui sera bissé à la fin du concert après un « joyeux anniversaire » d’occasion – où l’on reçoit de véritables bouffées d’orchestre respirées à plein poumons. Charlotte Bowden y est confondante de naturel, avec une simplicité qui évite toute forme de caractérisation trop excessive. C’est que l’on aura déjà été conquis par son premier air, à l’acte I, où l’amour s’y exprime sous la forme d’une balade-rêverie. Ce très beau timbre se confirmera, à l’autre bout de la partition, dans l’affirmation de son aria finale, puissante et portée par les ostinatos de l’orchestre.
L’Acis de Hugo Hymas, à l’opposé, présente un jeu tout feu tout flamme qui au début l’amène à projeter un peu au-delà de ses moyens, manquant d’une certaine homogénéité dans ses registres (notamment ses aigus parfois serrés), et où l’art du trille n’est pas toujours son fort. Mais sa voix se chauffera, retrouvera son éclat et plus de souplesse par la suite. Noter aussi le Polyphème de Staffan Liljas, tout à fait enjoué, qui impressionne rapidement – aux limites du surjeu – entre buffa et drama.
Pour que la théâtralité soit totale, il faut aussi compter sur des moments plus intériorisés et lents, ce qu’offre bien sûr ce petit bijou d’opéra. C’est le cas de l’air du Coridon de Nicholas Scott, à la voix si bien placée, autour de ses « softly, gently, kindly », qui disent bien ce qu’ils sont, répétés et savourés à satiété sur un orchestre pianissimo, du bout des lèvres, et d’accords suavement arpégés à la harpe. Ou encore la mort d’Acis, écrasé sous le rocher de Polyphème, où l’orchestre s’éteint en parfaite symbiose avec la voix du ténor.
Comparé au concert choral de l’ensemble Cantoría en début d’après-midi, le chœur perd ici en homogénéité ce qu’il gagne en vaillance, avec ses fortes individualités qui irradient à l’occasion, comme la soprano Maud Bessard-Morandas, tout à fait brillante. C’est qu’en deux concerts, l’acoustique du lieu s’est révélée bien différente, plus délayée, par le simple fait d'ajouter l’orchestre et de changer le répertoire. García-Alarcón nous avait bien prévenus au début que son discours permettrait avant tout aux musiciens de régler leur oreille dans une salle pleine à craquer, où la venue de l’ensemble est toujours un moment fort de la programmation, qui plus est autour d’un si bel anniversaire. De fait, bon anniversaire à la Cappella Mediterranea, et belle route !
Le voyage de Romain a été organisé par le Festival d'Ambronay.
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