Pour le concert de clôture de son festival, la société Chopin nous a régalés d’un concert d’une exceptionnelle qualité. Rares sont les pianistes capables de soutenir pareil programme, qui comptait notamment les Davidsbündlertänze et l’opus 58 de Chopin. Laloum ne mérite que des éloges pour la discrétion, l’élégance et la cohérence naturelles de son jeu, montrant au travail un très grand schumanien. Un pianiste dévolu à des destinées auxquelles sa discrétion ne semblait nullement le préparer.
Une modestie presque gênée dans le regard ; le voilà qui s’avance pour saluer, tête baissée, comme déjà pour s’excuser. 6 Moments musicaux de Schubert, comme 6 kinderszenen. Il s'y ressent le naturel halluciné du rêveur incorrigible, du garçon de 30 ans, détaché de tout extrémisme. Pourtant, quel pragmatisme dans l’exécution ; c’est grave et économe à la fois ! Laloum construit l’évidence dans un ailleurs, loin des académismes ; microcosme dans lequel il décrète selon sa seule volonté. Gravité du ton, de la conduite du chant, dans lesquels affleurent par moment l’émerveillement et une allégresse sincères. Laloum éloigne les Moments musicaux de cette légèreté de piécette qu’on leur prête trop souvent – à tort.
Premier grand coup de théâtre de ce début de soirée, les Davidsbündlertänze de Schumann. Cette façon étonnamment moderne de retenir, contenir, puis d’apaiser et résorber, tout en préservant l’indéfectible passion constitue un miracle d'intelligence. Lecture dans laquelle on entend la coexistence (parfois la fusion) de deux êtres contraires : le vaillant Florestan (I.3, I.6, I.8, II.4, essentiellement) bruissant, splendide de sonorité, racé jusque dans ses cavalcades ; le rêveur Eusebius (I.2, I.5, I.7, II.8) et la simplicité de son chant intérieur.
Laloum ne cède jamais au jeu passif. Et pourtant, on le sent attentif à un spectacle mental ; tour à tour émerveillée puis épouvantée, la musique incarne cet acquiescement de l’enfant face aux marionnettes. L’endurance du détail, est sans doute la plus fascinante expression de cette ardeur de bien faire. Adam Laloum n’élève jamais inutilement la voix. Bien au contraire, on l’entendra volontairement détimbrer le chant, sans l’appauvrir, (I.1, I.2 et I.7 et partie centrale de II.6) ou le faire surgir du piano le plus ombrageux (coda de I.4). Il réalise le paradoxe de trouver dans une sonorité étonnamment unie de quoi satisfaire tous nos désirs d’ailleurs : aucun tropisme technique, aucune inégalité, digression mais la plus belle continuité de style et de couleur. Continuité autorisant pourtant le juste cloisonnement des idées : à la fois désolidarisation des climats (zart et lustig) et absence de rupture (quelle belle transition entre II.7 et II.8 !). Une cohérence globale qui permet à tout moment de sauter du détail à l’ensemble, véritable fait d’armes lorsqu’il s’agit des Davidsbündlertänze.