Les Greniers Saint-Jean surplombent le long boulevard Arago ombragé par les somptueux et vénérables platanes qui longent la Maine. C'est un ancien dépôt à grains du Moyen Âge, salle dont la sévérité est adoucie par des grands arcs-boutants de pierre blanche soutenant un plafond de bois semblable à une coque de bateau renversée. Derrière, un jardin de rosiers et d'acanthes descend vers une petite place qui fait le lien avec le jardin de simples de l'Hôtel-Dieu qui abrite les grandes tapisseries de Jean Lurçat.
Cette petite place est le forum d'Angers Pianopolis. Tous y convergent entre les concerts du festival. Des food trucks s'y sont installés et leurs prix démocratiques attirent et retiennent le mélomane harassé de chaleur comme l'artiste qui sort de scène. En descendant vers le jardin du cloître, une estrade, un piano, des micros. C'est là que l'écrivain et éditeur Jean-Yves Clément anime une causerie avec Bruno Monsaingeon sur « Écrire et filmer la musique ». On s'est essayé à compter : nous étions bien 350-400 personnes pour écouter le documentariste parler de Gould, de Richter, d'Oïstrakh et de lui-même avec passion.
Détour par la buvette, avant le concert de Félicien Brut et Astrig Siranossian. On s'attend à une pause récréative. Et voici que les deux artistes nous cueillent avec Passion de Tony Murena et Indifférence de Joseph Colombo, deux anciennes gloires de l'accordéon musette et jazz. On retient mal un sanglot devant ce tact, cette apesanteur, cette élégance, cette dévotion à la musique. Et le prélude de Pelléas et Mélisande de Fauré nous emporte dans la pénombre d'une église, le grincement du pédalier de l'harmonium en moins. La Rhapsodie hongroise de Popper, le Paganini du violoncelle, dans un cabaret tzigane : quelle vitalité, quel chic virtuose d'Astrig Siranossian !
Entre les pièces, les deux musiciens présentent les morceaux avec naturel, décontraction, humour, beaucoup de savoir mais aucune pédanterie. Et de nouveau l'émotion vous tombe dessus avec Ov Sirun Sirun, un chant traditionnel arménien que Siranossian joue seule et chante, d'une voix et d'un archet magnifiques, plainte nostalgique aux mélismes orientaux. Brut donne le coup de grâce nostalgico-lacrymal avec des Variations sur Les Parapluies de Cherbourg de Michel Legrand... Et les Jeux d'enfants de Bizet passent du quatre mains original à l'accordéon et au violoncelle comme une lettre à la poste !