Un chef parmi les plus renommés au monde, une violoniste éblouissante de virtuosité, et l’une des meilleures phalanges américaines : comme d’habitude, la Philharmonie de Paris frappe un grand coup pour ses premiers concerts de la saison. Impossible de bouder son plaisir face à l’enthousiasme démesuré de Yannick Nézet-Séguin aux côtés de son Philadelphia Orchestra, qui convaincrait un sourd d’aimer la musique !
C’est toutefois d’abord Lisa Batiashvili qui crève la scène : avec un archet de velours, la violoniste déploie la ligne mélodique habitée et vibrante du Concerto n° 1 de Szymanowski, tout en conservant une précision chirurgicale dans ses attaques incisives. Derrière elle, les musiciens de l’orchestre font preuve eux aussi d’une acuité rythmique impeccable dans toutes les interventions, parfois très percussives, qui ponctuent le chant du violon. Avec sa direction à la fois généreuse et fine, Nézet-Séguin n’hésite pas à accentuer les ruptures de la partition, les accents, les moments plus retenus : c’est donc le son de Batiashvili, souple, élastique, coloré par de multiples glissades, qui sert de liant à ce vaste concerto d’un seul tenant. Un seul regret : on pourrait imaginer des nuances plus délicates, des couleurs un peu plus pâles dans cette œuvre marquée par le mystère et le rêve… Même si le son du violon, opulent d’un bout à l’autre de la pièce, ne manque certes pas de charme !
Le début du Poème de Chausson est en ce sens plus réussi. La section a cappella, durant laquelle le violon dessine le premier thème, est ici très intérieure, presque murmurée. Comme par mimétisme, les cordes de l’orchestre, très tendres, se font elles aussi plus voilées. Les passages plus expansifs sont également impressionnants, même s’ils manquent, eux aussi, parfois un peu de légèreté : entre cuivres sonores, ronds et chauds, et cordes puissantes, les tuttis ont ici un côté hollywoodien qui empêche parfois de percevoir le relief de l’œuvre. Qu’à cela ne tienne : la somptuosité du son de Lisa Batiashvili et son éblouissante aisance suffisent à emporter l’adhésion du public. On retrouvera les deux visages du jeu de la soliste dans deux bis : Doluri, d’Alexej Machavariani – la virtuosité impétueuse – et Beau soir, de Debussy, avec Yannick Nézet-Séguin au piano – le chant tendre et intimiste, que l’on ne peut s’empêcher de préférer.