Au beau milieu de leur tournée internationale, le Philadelphia Orchestra et son directeur musical, Yannick Nézet-Séguin, ont fait escale à la Philharmonie de Paris pour une soirée 100% « Allemagne romantique ». Robert Schumann (Symphonie n° 4) et Richard Strauss (Don Juan) étaient mis à l’honneur, après le Concerto pour piano n° 1 de Johannes Brahms sous les doigts d’Hélène Grimaud.
La célèbre pianiste rejoint l’orchestre sur scène, sous les applaudissements d’un public conquis d’avance. Les musiciens de la « city of brotherly love » (« ville de l’amour fraternel », célèbre surnom de Philadelphie) lui tissent alors le plus beau des écrins sonores : les cordes, soyeuses dans le grave, étincelantes dans l’aigu, font preuve d’une homogénéité remarquable. Passé le caractère martial des premières mesures, Nézet-Séguin adopte une gestuelle caressante qui veille sur tous les pupitres. Dans l’orchestre, les solistes font preuve d’une humilité rare : le timbre charnu du hautbois plane au-dessus des cordes, le vibrato léger du basson colore l’arrière-plan, les cors cuivrés lancent un appel net, mais aucun d’entre eux ne cherche à se distinguer par un jeu inutilement démonstratif. Soudés derrière la pianiste, tous se rejoignent dans une même quête d’harmonie collective.
Le jeu d’Hélène Grimaud s’enchâsse précisément dans celui de la phalange américaine et la complicité avec Nézet-Séguin saute aux yeux. Le timbre acide du piano contraste cependant avec la texture soyeuse de l’orchestre. On sait Grimaud adepte d’un son éclatant, métallique, qui met en avant sa technique spectaculaire. Ce soir, l’efficacité digitale est au rendez-vous mais elle bascule souvent dans une mécanique clinquante, parfois agressive, depuis les traits virtuoses du premier mouvement à l’expéditive cadence du finale. Cette dureté rompt les longs phrasés dessinés par Brahms dans son œuvre exigeante. Les nombreux chorals sont également malmenés : la pianiste use et abuse d’un léger décalage entre main gauche et main droite pour mettre en évidence l’indépendance des voix, étrange effet de manche qui brise l’écriture majestueuse de l’harmonie. Bien qu’abrupte, l’interprétation virtuose de Grimaud reste hautement spectaculaire. On préfèrera cependant retenir du concerto l’atmosphère feutrée du deuxième mouvement qui montre toute la sensibilité de la concertiste. Une même tendresse semble alors unir les musiciens américains et la pianiste française, sous la direction fédératrice de Nézet-Séguin.