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Lisette Oropesa et Benjamin Bernheim chantent l'amour lyrique au Théâtre des Champs-Élysées

Par , 27 avril 2024

Il existe des voix qui nous font comprendre comment, dans certaines fictions, un personnage a le coup de foudre pour un inconnu rien qu'en entendant son timbre enchanteur. Nul doute, Benjamin Bernheim et Lisette Oropesa possèdent de ces organes magiques : leur récital au Théâtre des Champs-Élysées l’a une fois de plus confirmé. Accompagnés par l’orchestre de l’académie du Teatro alla Scala, les chanteurs ont proposé un programme d’airs et de duos italiens et français.

Benjamin Bernheim / Lisette Oropesa
© Edouard Brane / Steven Harris

Ces concerts-plaisir sont de véritables bonbons pour les lyricomanes qui se désolent d'ordinaire de n’entendre leur interprète favori que dans une trop courte partie des opéras en version intégrale. Mais si le plaisir esthétique domine, attention cependant à ne pas tomber dans le piège de l’enchainement de tubes sans cohérence. 

Si le concert du soir est structuré avec une première partie dédiée à l’opéra italien puis une deuxième partie dédiée à l’opéra français, on peine à trouver une logique générale. Certes, le thème abordé est toujours l’amour, mais rien de bien surprenant pour un programme de duos d’opéras. Certes, l’alternance de duos et d’airs est remplie de bon sens en tenant compte des difficultés de chaque extrait : ainsi la prière d'Isabelle de Robert le Diable, très éprouvante vocalement, sera suivi d’un air de Benjamin Bernheim et non d’un duo. Mais comment comprendre le choix des extraits proposés (les airs et les duos d’amour ne manquent pas dans le répertoire) les uns par rapport aux autres, et comment expliquer le positionnement des ouvertures pour orchestre seul au milieu des extraits ? On aurait aimé une présentation du projet dans le programme de salle.

On ne pense à ces considérations que dans les rares moments où l’on n’est pas noyé dans la beauté, la théâtralité et la musicalité des merveilleuses voix qui captivent toute la salle. Disposant d’une amplitude sonore impressionnante dans tous les registres, la soprano peut enchainer des vocalises acrobatiques avec une netteté remarquable dans son interprétation de « Carlo vive ? » d'I masnadieri. On s’amuse du fait qu’en deuxième partie, pour l’air des bijoux, Lisette Oropesa n’a plus le collier qu’elle portait pour la partie italienne du programme. Qu’à cela ne tienne, sa voix éclatante de diamants en crée de somptueux de toutes pièces. C’est finalement dans son dernier air soliste que la chanteuse américaine étourdit le plus : un « Robert, toi que j’aime » de Meyerbeer dont les lamentations dramatiques touchent en plein cœur, bien loin des pirouettes virtuoses des interventions précédentes.

Benjamin Bernheim ajoute aux mêmes aptitudes hors du commun une gestion plus intéressante du vibrato, que sa collègue a un peu systématique. Ses variations d’émission sont stupéfiantes, à l’image d’une « Recondita armonia » généreusement lyrique tandis que sa romance de Nadir de référence, intégralement en voix de tête malgré un tempo retenu, récolte l’ovation qu’elle mérite. Les deux interprètes mêlent à la perfection leurs timbres pour des duos savoureux, notamment sur le plan théâtral. On s’amuse de leurs facéties dans « Caro elisir », on vibre avec eux dans « Ange adorable », et surtout on est retourné par le dramatisme du duo qui clôt l’acte III de Manon de Massenet.

Derrière eux, l’orchestre de l’académie de la Scala est constitué de jeunes musiciens formés pendant une année par les membres « expérimentés » de l’orchestre de l’institution milanaise. Conduit par Marco Armiliato, il peine à convaincre dans la première partie du programme : peu aidée par une battue à la décomposition généreuse de la mesure, la formation reste très sage, presque sans élan. Tout est à l’image de la gamme ascendante qui précède le « Addio, addio » de Rigoletto : une envolée trop lestée qui n'illustre pas l'urgence d'une fuite. C’est étonnamment dans la musique française que l’ensemble sera plus convaincant. Plus engagé, peut-être moins stressé, beaucoup plus lyrique, il est plus à l’unisson des solistes en épousant davantage le drame. L’ouverture de Roméo et Juliette de Gounod aura ainsi été plus réussie que celle de La Force du destin qui débutait le concert.

Les artistes proposent en bis le célébrissime « O suave fanciulla » qui termine le premier acte de La Bohème. Un retour à la musique italienne lors duquel l’orchestre fait oublier les réserves sur sa prestation de la première partie du concert tant il résonne en sympathie avec le duo de solistes toujours aussi prodigieux malgré toutes leurs prouesses vocales passées. Les protagonistes se déclarent leur amour (encore !) en regardant les étoiles : le public en aura eu les oreilles remplies. 

***11
A propos des étoiles Bachtrack
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“Benjamin Bernheim et Lisette Oropesa possèdent de ces organes magiques”
Critique faite à Théâtre des Champs-Élysées, Paris, le 26 avril 2024
Verdi, La forza del destino (La Force du destin): ouverture
Donizetti, L'elisir d'amore: Caro elisir
Puccini, Tosca: Recondita armonia
Verdi, I masnadieri: Tu del mio Carlo al seno
Verdi, I masnadieri: Sinfonia
Verdi, Rigoletto: Signor né principe… Addio, addio
Gounod, Roméo et Juliette: Ange adorable
Gounod, Faust: Ah! Je ris de me voir si belle (Air des bijoux)
Bizet, Les Pêcheurs de perles: Je crois entendre encore
Gounod, Romeo et Juliette: Ouverture
Meyerbeer, Robert le Diable: Robert, toi que j'aime
Massenet, Manon: Ah ! Fuyez, douce image
Massenet, Manon : Duo de Saint-Sulpice
Lisette Oropesa, Soprano
Benjamin Bernheim, Ténor
Orchestra dell'Accademia Teatro alla Scala
Marco Armiliato, Direction
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