C’est avec beaucoup d’émotion que la grande salle de la Monnaie reprend vie, avec la première date de la tournée du nouvel album de Sabine Devieilhe et Alexandre Tharaud : « Chanson d’amour ». Florilège de mélodies réunissant les quatre grands noms de la mélodie française (Claude Debussy, Gabriel Fauré, Francis Poulenc et Maurice Ravel), le programme mêle les cycles complets aux plus grands tubes du répertoire. Au cours du concert, on remarque que chaque compositeur est clairement caractérisé et les ambiances se succèdent avec une fluidité confondante.
Les quatre mélodies de Fauré éparpillées dans le programme forment à elles seules un aperçu de l’extraordinaire savoir-faire des deux artistes. D’une limpidité et d’un lyrisme irrésistibles, ces chefs-d’œuvre se revêtent d'une intensité très touchante. La voix libre et ronde s’enroule avec aisance autour des vers et des rimes, soulevée tendrement par le jeu d’Alexandre Tharaud. On oublie rapidement les nombreuses versions que l’on a dans l’oreille, tant l’interprétation si simple de Sabine Devieilhe semble évidente. Grâce à des voyelles parfaitement définies, une tessiture d’une grande largeur et une longueur de souffle quasi infinie, l’obsession de Gabriel Fauré pour les grandes phrases lyriques se trouve merveilleusement comblée. Des « Berceaux » en particulier se dégagent une tendresse et une mélancolie absolument bouleversante, autant dans la caresse des consonnes que dans le poids des mots qu’elles forment.
L'atmosphère devient plus intense, plus profonde avec Debussy. L’œil affecté et les mots lourds dans la « Nuit d’étoile », la soprano française signe une interprétation d’une sincérité fort touchante. Quant à la « Romance d’Arielle » et « Apparition », elle n’en fait qu’une bouchée. De par une aisance vocale déconcertante, une diction précise et un véritable sens du drame, les volutes de ces mélodies se fardent d’une aimable sobriété. Une grande lumière émane d’ailleurs de ce duo : lui, poète au toucher léger, sachant briller et s’effacer en toute humilité et elle, tantôt grande dame de caractère, tantôt vierge diaphane aux aigus saisissants. Pourtant les Ariettes oubliées paraissent un peu plus irrégulières. Dans une diction toujours impériale (avec de somptueux « r » roulés !) et des atmosphères contrastées, « Il pleure dans mon cœur » et « Spleen » émeuvent naturellement. Mais l’on pourra regretter un manque de sensualité, voire une certaine froideur dans « C’est l’extase » et « Green ».