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Clayton Stephenson aux Jacobins : la consécration d'un Américain à Toulouse

Par , 12 septembre 2025

Pour les Toulousains, septembre rime avec Piano aux Jacobins, le grand rendez-vous annuel du piano. On y guette les personnalités du clavier de demain, on y retrouve les artistes fidèles, on y côtoie des stars mondiales. Ce soir on entre dans la catégorie « première française » : Clayton Stephenson, jeune prodige américain, franchit l’Atlantique pour le festival. Et de toute évidence, le piano est son ami, son double, son prolongement. En une heure et vingt minutes extrêmement denses (il « oubliera » de sortir pour l’entracte), il va faire passer son clavier par toutes les émotions, par toutes les couleurs, par tous les extrêmes, sans jamais trembler ni faillir.

Clayton Stephenson à Piano aux Jacobins
© Thibault d'Hauthuille / Bachtrack

La soirée débute sagement par la transcription par Myra Hess de Jésus que ma joie demeure de Bach, dans une atmosphère de douceur et de tendresse. À quelque endroit que se situe la ligne mélodique – aux pouces, aux doigts faibles de la main droite, aux octaves de la main gauche –, Clayton Stephenson conserve la même parfaite lisibilité.

Schubert vient ensuite, avec les quatre Impromptus D.899. Tout y est, tout est en place… Intense poésie du premier, suspendu, dans un climat interrogatif constant. Virtuosité du deuxième. Splendide ligne de chant du troisième, qui se déploie sur un roulis incessant, tout en fluidité. Fluidité aussi du quatrième, avec une partie centrale qui fait naître un sentiment d’urgence et de détresse. Mais quelques étonnements tout de même. Le mouvement perpétuel du deuxième pourtant indiqué sobrement « Allegro », est joué avec la frénésie de l'Étude op. 25 n° 2 de Chopin ; Stephenson s’emballe. Quant au quatrième, il est indiqué pianissimo mais voilà que le pianiste le démarre forte et s’impose un tempo qui confine à l’illisible. On se prend à douter.

Quand tout à trac Stephenson se lance dans les Trois mouvements de Petrouchka, de Stravinsky. C’est une transformation, non, une transmutation. Il est le loup de Tex Avery : tout son corps se met à swinguer, ses poignets souples prennent des postures invraisemblables. Mais malgré un tempo de cinglé et alors que certaines séquences frisent la saturation sonore, chaque note reste parfaitement audible. Avec une microseconde d’écart, les avalanches d’octaves et d’accords piqués se changent en mélodie sensuelle selon une agogique parfaite. Les plus petits éléments de la partition sont reliés entre eux : la sensation de numéros de ballet qui s’enchaînent s’efface au profit d’une logique interne. Clayton Stephenson sait parfaitement où il va, il maîtrise chaque instant de manière stupéfiante, et nous y allons avec lui ventre à terre.

Aussi, l’arrivée à ce moment du concert d’une reprise d'Over The Rainbow n'a pas de prix… La musique est tellement suave, glissante, qu’on a soudainement envie de s’abandonner, de ramper sous la table du piano et de s’y lover en boule. La tension redescend, on respire un grand coup, il faut, car vient ensuite la version pour piano seul de Rhapsody in Blue de Gershwin. Souplesse, culot, alternance de force et de douceur : le pianiste américain qu’aucune difficulté n’effraie y est dans son élément. Même si certains timbres très particuliers de l’orchestre nous manquent, on est une nouvelle fois embarqué. Rappelé à deux reprises, plein d’enthousiasme, Stephenson décidera de transformer la vénérable salle capitulaire du cloître des Jacobins en boîte de jazz, en jouant d’abord une pièce échevelée de Hiromi, puis sa reprise de Tea for Two.

****1
A propos des étoiles Bachtrack
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“tout son corps se met à swinguer, ses poignets souples prennent des postures invraisemblables”
Critique faite à Cloître des Jacobins, Toulouse, le 10 septembre 2025
Hess, Jésus que ma joie demeure, transcription pour piano de la Cantate 147 no. 10 de Bach
Schubert, Quatre Impromptus, D.899
Stravinsky, Trois mouvements de Petrouchka
Arlen, Over The Rainbow (arr. Jarrett)
Gershwin, Rhapsody in Blue
Clayton Stephenson, Piano
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