La soirée s’annonce sombre. Entre Bach qui déplore le départ de son frère, Liszt qui pleure la perte de sa fille, un Brahms neurasthénique au soir de sa vie et un Prokofiev guerrier, ce n’est pas le sérieux des Variations op. 54 de Mendelssohn qui nous arrachera un sourire. Nous entrons donc dans le cloître des Jacobins les épaules pré-voutées. Quel défi s’impose Elisabeth Brauß ! La pianiste allemande, dans sa trentième année, commence une carrière internationale et fait du festival toulousain sa première escale française.
Elle commence donc par Bach, avec cette œuvre de jeunesse, le Caprice sur le départ de son frère bien-aimé, seule dans son genre à reposer sur un principe programmatique, puisque chaque mouvement est précédé d’une indication sur une situation, la musique se faisant traductrice. On aime d’emblée une forme d’abandon, une souplesse et une liberté dans le jeu d’Elisabeth Brauß, qu’on retrouvera dans les Klavierstücke op. 119 de Brahms. L’équilibre entre les doigts est subtil, le jeu nuancé. Les accents, les ornements, les valeurs inégales sont très « informés », et ajustés. On se régale dans la double fugue issue de l’air du postillon, brillamment interprétée.
Le thème des Variations sérieuses de Mendelssohn est ensuite posé avec sérénité et avec ce même équilibre très pensé entre les doigts. Dans toutes les variations, on admire un art consommé de la nuance et toujours cette souplesse. Apparaît cependant une caractéristique du jeu qui nous perdra dans Liszt : dans les moments agités, le rythme et la dynamique sont parfois privilégiés au contrôle de la mélodie. Le thème, qui est pris « sérieusement » par Mendelssohn et donc doit toujours être parfaitement lisible, disparaît souvent.
Autre cycle de variations, celui écrit par Liszt sur le thème chromatique descendant issu de la cantate de Bach « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen ». Le drame sonore est là, on ressent l’abattement et la souffrance du père, Brauß nous embarque. Mais quand surviennent les passages virtuoses – ils ne sont jamais très loin –, la main gauche se fait envahissante. Les traits sont pris pour eux-mêmes, indépendamment, sans lien entre eux, sans continuité. Et puis voilà qu’apparaît la lumière, sous la forme du choral « Was Gott tut, das ist wohl getan » (« Ce que Dieu fait est bien fait »), dans un contraste marqué qui fonctionne. On est toutefois heureux qu’un court entracte nous permette de respirer après les battements d’octaves graves conclusifs !