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Le sombre récital d'Elisabeth Brauß à Piano aux Jacobins

Par , 17 septembre 2025

La soirée s’annonce sombre. Entre Bach qui déplore le départ de son frère, Liszt qui pleure la perte de sa fille, un Brahms neurasthénique au soir de sa vie et un Prokofiev guerrier, ce n’est pas le sérieux des Variations op. 54 de Mendelssohn qui nous arrachera un sourire. Nous entrons donc dans le cloître des Jacobins les épaules pré-voutées. Quel défi s’impose Elisabeth Brauß ! La pianiste allemande, dans sa trentième année, commence une carrière internationale et fait du festival toulousain sa première escale française.

Elisabeth Brauß à Piano aux Jacobins
© Thibault d'Hauthuille / Bachtrack

Elle commence donc par Bach, avec cette œuvre de jeunesse, le Caprice sur le départ de son frère bien-aimé, seule dans son genre à reposer sur un principe programmatique, puisque chaque mouvement est précédé d’une indication sur une situation, la musique se faisant traductrice. On aime d’emblée une forme d’abandon, une souplesse et une liberté dans le jeu d’Elisabeth Brauß, qu’on retrouvera dans les Klavierstücke op. 119 de Brahms. L’équilibre entre les doigts est subtil, le jeu nuancé. Les accents, les ornements, les valeurs inégales sont très « informés », et ajustés. On se régale dans la double fugue issue de l’air du postillon, brillamment interprétée.

Le thème des Variations sérieuses de Mendelssohn est ensuite posé avec sérénité et avec ce même équilibre très pensé entre les doigts. Dans toutes les variations, on admire un art consommé de la nuance et toujours cette souplesse. Apparaît cependant une caractéristique du jeu qui nous perdra dans Liszt : dans les moments agités, le rythme et la dynamique sont parfois privilégiés au contrôle de la mélodie. Le thème, qui est pris « sérieusement » par Mendelssohn et donc doit toujours être parfaitement lisible, disparaît souvent.

Autre cycle de variations, celui écrit par Liszt sur le thème chromatique descendant issu de la cantate de Bach « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen ». Le drame sonore est là, on ressent l’abattement et la souffrance du père, Brauß nous embarque. Mais quand surviennent les passages virtuoses – ils ne sont jamais très loin –, la main gauche se fait envahissante. Les traits sont pris pour eux-mêmes, indépendamment, sans lien entre eux, sans continuité. Et puis voilà qu’apparaît la lumière, sous la forme du choral « Was Gott tut, das ist wohl getan » (« Ce que Dieu fait est bien fait »), dans un contraste marqué qui fonctionne. On est toutefois heureux qu’un court entracte nous permette de respirer après les battements d’octaves graves conclusifs !

On retrouve ensuite dans les Klavierstücke op. 119 de Brahms la souplesse et la liberté que l’on avait aimées chez Bach. L’unité expressive qui relie les quatre pièces sans lien apparent est bien rendue. La pianiste allemande se fait sobrement tragique, sans pathos, elle nous amène à oublier l’heure et le lieu.

Enfin arrive le sommet de la soirée, la Septième Sonate de Prokofiev. Œuvre brutale, à l’atmosphère menaçante, elle nous plonge dans le chaos d’un équilibre tonal instable dès les premières mesures. Si les évolutions du premier thème, remplies de chocs d’accords, sont bien tenues, en revanche le thème « Andantino » surprend : on ressent de la tendresse et une tentative de faire beau, au lieu d’une intimité douloureuse. Dans ce mouvement comme dans le suivant, un abus de pédale rend certains passages assourdissants. Enfin, le fameux « Precipitato » est lancé sur un tempo très élevé digne d’un Richter, sans sa fermeté toutefois. Le tempo est tenu impeccablement d’un bout à l’autre mais, quand arrivent les déplacements redoutables des deux dernières pages, si les notes sont là sans aucune erreur de placement, les accords sont survolés, sans profondeur, sans la lourdeur nécessaire, qu’auraient amenée des poignets plus solides. La soirée fut donc bien sombre, dans une programme d'une densité folle... peut-être trop.

***11
A propos des étoiles Bachtrack
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“La pianiste se fait sobrement tragique, sans pathos, elle nous amène à oublier l’heure et le lieu”
Critique faite à Cloître des Jacobins, Toulouse, le 16 septembre 2025
Bach, Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo (Caprice sur le départ de son frère bien-aimé), BWV992
Mendelssohn, Variations sérieuses en ré mineur, Op.54
Liszt, Variations on a theme from Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen by JS Bach, S 180
Brahms, Quatre Pièces pour piano (Klavierstücke), Op.119
Prokofiev, Sonate pour piano no. 7 en si bémol majeur, Op.83
Elisabeth Brauß, Piano
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