Pour apprécier la forme de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse, placé ce soir sous la baguette du chef Clemens Heil, il n'y a pas lieu d'attendre l'exécution des deux pièces maîtresses du programme, le Concerto pour piano de Robert Schumann et Shéhérazade de Rimski-Korsakov. Dès l'ouverture de La Princesse jaune de Saint-Saëns, prélude du concert, on est séduit par la cohésion et la sonorité de l'ensemble. La vivacité des attaques, des transitions, des échanges, un sens des nuances intimement partagé par tous les musiciens sonnent clairement à l'oreille de l'auditeur dans cette pièce facile d'accès. Timbres et tonalité au caractère mystérieux voulu par l'œuvre se dégagent du jeu de la petite harmonie. La présence du cor anglais particulièrement expressif et la magie du legato des cordes ponctué de pizzicati soutiennent fermement la présentation et les reprises du thème distribuées entre les pupitres de manière fluide.
Ces qualités ne se démentiront pas dans les œuvres d'envergure qui s'annoncent. Elles sont d'abord mises au service du romantisme schumannien avec l'unique concerto pour piano du compositeur confié au clavier de Claire Désert. Les vifs traits initiaux descendants annoncent le subtil caractère du jeu de la pianiste bien ajusté aux deux doubles que Schumann s'était forgé : Florestan l'expansif et Eusebius, témoin de l'intériorité. Puissante mais dépouillée d'effets superfétatoires, l'interprétation de Claire Désert reste marquée du sceau d'une délicatesse qui enchante. Il en va ainsi dans la présentation du thème du premier mouvement puis dans les variations solistes qui suivent. Leur géniale inventivité rythmique, mélodique, harmonique, la richesse des nuances trouvent avec la pianiste une expression prenante, en particulier dans la virtuose cadence soliste.
La complicité entre le piano et l'orchestre est tout aussi séduisante. Le dialogue du deuxième mouvement entre la soliste et, alternativement, la flûte, la clarinette, le basson et les cordes en est une illustration particulièrement éloquente. La conduite du chef, Clemens Heil, impressionne également par sa gestique précise, figurative et d'une extraordinaire souplesse, épousant finement chacune des formes que lui inspire l'exécution de l'œuvre. Le troisième mouvement adopte un tempo qui met en valeur la clarté du propos, tant du côté du piano que de celui de l'orchestre, sans céder à la tentation d'une célérité qui se révélerait trop spectaculairement brillante. Les impulsions d'une marche bien rythmée sans être précipitée, le rendu des lignes, de l'harmonie et des échanges laissent pressentir la montée dramatique vers le somptueux finale qui est offert.