Au bout d’une discrète ruelle vénitienne, derrière une petite porte en bois et des murs chargés de glycine, se cache une des institutions les plus importantes de la scène musicale française : bienvenue au Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, où se tient ce mois-ci un festival consacré aux musiciens dans la Grande Guerre. Pièce maîtresse de cet ancien casino, la petite salle de concert dispose d’un volume appréciable, avec une belle mezzanine bordée d’une balustrade boisée. En ce dimanche après-midi, on s’apprête à y entendre un programme de mélodies françaises chantées par Judith Fa, jeune soprano à la carrière en plein essor, aux côtés de l’expérimenté pianiste Damien Lehman.
La mélodie est un art délicat : c’est une science de la narration, de l’évocation ou de la suggestion plus que de l’incarnation. Judith Fa trouve naturellement le bon niveau d’engagement dans le discours poétique et musical. Ancrée sur la scène sans être statique, faisant gonfler son timbre quand le texte l’exige, la soprano commence par un bel ensemble de mélodies de Jean Cras et Nadia Boulanger. Le phrasé tendu comme un arc englobe la totalité d’Image. Judith Fa y ajoute à son « cher secret » ce qu’il faut d’intensité protectrice, puissante et amplement vibrée. Un peu plus loin, elle sert les « grands soleils couchants » dans un registre grave particulièrement brûlant. Et elle conclut Le Couteau avec un timbre idéalement acéré, sans le moindre vibrato.
Dans la suite du récital, on constate cependant que cet ajout de subtils figuralismes sur le texte poétique ne s’opère généralement que dans un sens : celui du lyrisme, au détriment de l’expressivité de l’élocution. La pureté et la douceur de Nuit d’automne (André Caplet) sont ainsi laissées de côté et les Chansons bretonnes (Jean Cras) s’avèrent plus opératiques que rustiques. La chanteuse se permet par ailleurs de sacrifier des vers du compositeur quand l’architecture répétitive la gêne… Ce genre d’arrangement surprend dans le cadre du Palazzetto, réputé pour la rigueur de ses reconstitutions.