Cette reprise attendue de la production du metteur en scène canadien Robert Carsen à l’Opéra de Paris, à la fois onirique et sombre, s’appréhende selon plusieurs niveaux de lecture : l’œuvre évoque tantôt la féerie et l’univers du conte, tantôt une longue méditation sur le sens de la vie et la mort. En effet, plus de soixante occurrences du mot « mort » dans le livret d’Emmanuel Schikaneder permettent de traduire l’obsession commune à ces différents personnages. Au regard des épreuves qu’ils doivent traverser, tous se familiarisent ainsi à l’idée de leur propre disparition. Quête initiatique, cette production rend grâce à ce singspiel servi par une distribution aussi prestigieuse que parfaitement équilibrée.
Dès l’ouverture, tout le matériau poétique de l’œuvre se révèle : la délicatesse de l’apparition du motif de la forêt, projeté sur un fin rideau masquant la scène, puis l’entrée de Tamino (Stanislas de Barbeyrac) sortant d’un trou creusé à cour. L’espace scénique ayant ayant été agrandi jusqu’à l’avant-fosse, le chef, légèrement sur-élevé, se confond ainsi avec le serpent surgissant à la suite de Tamino. Cette première image, en plus de poser les fondements de la structure dramatique de l’œuvre, nous indique toute l’importance de la musique qui en dit autant si ce n’est plus que le livret. Henrik Nánási, qui a notamment reçu le « Helga di oro », prix consacrant meilleur chef de l’année 2016 suite à sa direction de Macbeth à Valence avec Placido Domingo dans le rôle-titre, brille ici dans la direction de l’orchestre de l’opéra de Paris, portant une attention toute singulière aux chanteurs avec qui il communique en cherchant à créer une harmonie toute millimétrée comme le sont les déplacements en scène - presque Wilsoniens. Semblant rechercher à former une synthèse plus qu’un contrepoint au jeu, révélant toute la beauté des vents qui illustrent si admirablement les émotions, la musique devient ainsi un personnage à part entière du singspiel : elle invite au pardon, à la réconciliation, tandis qu’en scène chacun est aux prises avec l’idée de contrôle de soi.
La distribution vocale des rôles répond dans une large mesure aux exigences convenues de l’œuvre de Mozart : le rôle-titre, chanté par le jeune ténor Stanislas de Barbeyrac, révèle un Tamino sensible, dont la clarté du timbre et sa capacité à maintenir des notes à la fois découpées et projetées s’avère tout à fait adapté au rôle qui ne requiert pas de faire démonstration de virtuosité, mais de maîtrise. Et tant dans son jeu que dans le duo qu’il forme avec la Pamina de la soprano américaine Nadine Sierra, le ténor parvient à convaincre. La voix chaude et puissante de la jeune soprano, de même que sa maîtrise implacable de l’espace de scène et l’aisance dont elle fait preuve inverse quelque peu la hiérarchie entre les différents protagonistes. Ce manque d’équilibre entre les deux personnages est un contrepoint intéressant au livret, très misogyne, qui dépeint une Pamina plus soumise aux actes d’autrui qu’à sa propre conscience. Ici, si elle demeure victime, elle ne semble en rien vouloir accepter sa condition et fait preuve d’une énergie qui ne contraint en rien un souffle propre à servir des aigus à la fois cristallins et profonds. Michael Volle, très bon acteur, est à la fois touchant et constamment aux prises avec ses propres démons en Papageno. Sa voix puissante et ses graves à la fois dramatiques et chaleureux lui permettent d’incarner le célibataire peureux et alcoolique avec beaucoup de justesse, sans donner l’impression d’un effort qui donnerait une autre couleur au personnage. Rôle souvent confié à de jeunes chanteurs, Volle est loin de débuter sa propre carrière, et si ce choix de distribution peut surprendre, il s’avère relativement convainquant et son duo final avec la Papagena méconnaissable de Christina Gansch est irrésistible.