Roberto Forés Veses, chef de l’Orchestre d’Auvergne, ne recule pas devant la tâche. Fallait-il qu’il soit inspiré en ce samedi de clôture des Musiques Démesurées, au Théâtre du Petit Vélo à Clermont-Ferrand, pour inscrire au programme pas moins de six compositeurs ! Et non des moindres, dans des esthétiques très contrastées voire contrariées. Il y a bien plus qu’un monde, de l’ample Adagio d’Eric Tanguy aux angoisses hitchcockiennes d’Erinnerung de Thierry Escaich, ou des raffinements métaphysiques du Patmos de Philippe Hersant aux enlacements médiumniques du Souvenir du silence de Pascal Dusapin. Si en musique le temps se veut trace d’une durée de l’impensé, de l’informulé, alors incontestablement Forés Veses a atteint son but : mobiliser l’écoute autour de la présence visible et physique de l’œuvre. Dans l’intuition de l’instant, il fait surgir la nature des forces qui gouvernent aussi bien les attentes organiques de Siloël d’Edith Canat de Chizy que les étendues obstinément irrésolues attestant de notre conscience au monde, perceptibles tout au long de la Sinfonietta opus 72 de Nicolas Bacri.
Le directeur musical nourrit son orchestre d’une gestique ferme, où la précision s’inscrit dans la fluidité et l’autorité du dessein. Son dessein. Vision purement nietzschéenne de la perception très volatile et plurielle de ces écritures musicales exigeantes. « Il n’y a pas de faits, seulement des interprétations » soutenait le père du Gai Savoir. Ici pas de lecture monolithique à la Platon, ayatollah d’une stabilité mortifère et antinomique à l’essence même de la musique. Le caractère universel d’une œuvre est fait de changements, et défait par ses contradictions internes et intrinsèques.
Dans l’Adagio de Tanguy, pièce caractéristique de par la vastitude de ses perspectives harmoniques et ses flux postsymbolistes, Forés Veses s’impose en symphoniste plus qu’il ne suggère la nostalgie du thrène ; ce faisant, il nous engage à risquer un autre regard. Une fougue qu’il transmute en injonction chez Dusapin, jusqu’à apparaître ostentatoirement provocant si ce n’est attentatoire. L’engagement des pupitres touche ici à une urgence devenue plénitude. L’orchestre est manifestement complice et réceptif aux partis pris de son chef. Des conditions sine qua non pour rendre justice à cette page d’une redoutable intensité et riche en ellipses qu’instruisent les enchevêtrements tourmentés de lignes solistes, jusqu’à ce finale inattendu où se mêlent saturation et jouissance.