Bannie par certains, accueillie à bras ouverts par d’autres : il est risqué de s’embarquer avec la soliste argentine Sol Gabetta. Son nom ensoleillé et sa personne non moins rayonnante sont en effet susceptibles de donner libre cours à l’emphase. Ce ne serait donc pas la première fois qu’en concert Gabetta joue exagérément à la corde, gesticule fougueusement et, ce faisant, écrase sous des priorités personnelles les intentions du compositeur placé sur son pupitre. Mais pas dans cette collaboration avec le Kammerorchester Basel et son fidèle compagnon Giovanni Antonini.
De concert avec le chef d’orchestre italien, Gabetta recherche des caractères délicats, un équilibre espiègle entre lyrisme et humour, le drame infinitésimal loin des grandes dimensions tragiques. L’Andante cantabile, opus 11 de Tchaïkovski, par exemple, s’y prêtait d’excellente manière. La soliste s’est mise en frais avec des sonorités ardentes et passionnées, tandis qu’Antonini emportait le public en tissant l’accompagnement à la manière d’une toile très subtile autour du violoncelle. Cette rencontre concentrée d’émotions simples, stylisées et interprétées sans prétention démesurée a donné lieu à l’un des quatre climax qui ont fait la richesse de ce concert.
Les Variations sur un thème rococo, opus 33 du même Tchaïkovski ont elles aussi offert un sommet de raffinement. Gabetta a pris des risques, en ciblant son discours audacieux sur la musique même plutôt que sur la virtuosité. Bondissant d’une atmosphère à l’autre, elle a tiré de chaque variation une identité spécifique. Son instrument se mêlait en outre brillamment au son compact et malléable du Kammerorchester Basel, qui l’entourait avec force nuances.
Antonini n’a pas vu son rôle réduit à un simple cérémonial, bien au contraire : s’appuyant sur l’écriture musicale, il imprimait des accents logiques et pourtant saisissants. Naturellement, et pourtant inopinément, il a donné à entendre que cette pièce singulière dans l’œuvre de Tchaïkovski pouvait être bien plus qu’anecdotique. Cela sans en gonfler les proportions, mais en traitant très minutieusement le matériau. Cette approche s’est traduite par une interprétation passionnée, avec en vedette une Sol Gabetta enceinte.