Catastrophé par l'annonce du couvre-feu, le critique de service – masqué – marche vers cette fameuse salle qu'Alfred Cortot a fait construire sur les plans d'Auguste Perret à qui l'on doit aussi le Théâtre des Champs-Élysées. Henri Georges Ford se tient dans le hall, la mine sombre et l'on comprend vite pourquoi : « beaucoup de gens se sont désistés pour écouter le président Macron ». Ce producteur privé a pris le risque de créer une série à Paris et en une époque défavorable qui plus est. Croyez-le, mais entre 20h20 et 20h30, la Salle Cortot se remplira dans le respect des fameuses exigences sanitaires qu'à vrai dire théâtres, cinémas et salles de concerts respectent d'une façon scrupuleuse.
Pardon pour ses digressions, mais après avoir incité les institutions publiques et privées à rouvrir, le gouvernement les assassine pour des raisons sanitaires auxquelles on peut opposer le fait qu'aucune salle de spectacle n'a à ce jour été un foyer d'infection. Ne fallait-il pas permettre aux quelques milliers de mélomanes et de spectateurs, de musiciens, de comédiens, techniciens et personnels nécessaires à la vie culturelle de bénéficier d'un couvre-feu reculé à 23 heures, leur billet faisant foi ? Tant pis pour les jaloux : au gouvernement d'assumer politiquement un choix qui serait irréfragable, si bien explicité.
Une fois encore, on admire cette salle chaleureuse au décor sobre de béton et de contreplaqué de bois clair, à l'acoustique splendide qui permet d'entendre le moindre détail du jeu des pianistes, tout en permettant à l'instrument de rayonner comme dans une grande salle. Sur scène, un pied de micros : ce soir, le son et l'image du récital de Jean-Paul Gasparian sont diffusés sur recithall.com, une plate-forme internationale de streaming qui est regardée jusqu'au Brésil, apprendra-t-on à la toute fin du récital quand le pianiste Ismaël Margain, qui est embarqué avec d'autres dans cette aventure audiovisuelle, rejoindra sur scène le héros du jour pour lui soumettre quelques questions posées par de lointains auditeurs virtuels et proposer au public présent de l'interroger à son tour. Depuis le temps qu'on cherche des solutions pour rendre le concert classique plus attractif, en voici une à laquelle la plupart des musiciens se soumettront de bonne grâce.
Et Gasparian ? Dès qu'il pose ses mains sur le clavier pour jouer les Mazurkas op. 30 de Chopin, on est saisi par les sonorités qu'il tire d'un Steinway qui ne semble pourtant pas exceptionnel. Le corps du pianiste, son maintien, ses gestes se fondent dans l'instrument. Ils sont rarissimes les pianistes qui atteignent cette osmose entre l'esprit, le geste, la matière sonore, qui ont cette vraie technique qui seule peut permettre d'exalter le piano tout en le pliant aux exigences de la musique pour le faire oublier.