Le lundi 6 juin à la Philharmonie, le Trio Kavakos-Capuçon-Lugansky donnait avec éclat l’intégrale des Trios de Brahms : fournaise chambriste, performance d’une opulence extrême dans laquelle s’affirmaient pourtant trois individualités bien distinctes. L’hyperbole était la signature de ce concert monographique, tendu tout entier vers un opus 8 saisissant.
On ne suit pas encore aussi docilement les musiciens dans les premières minutes du concert : le trait est hyper-chargé, l’effet de masse terrifiant. Il est vrai que dans le Trio op. 101, le son part tellement fort, dispense si généreusement son héroïsme, qu’il est presque inévitable qu’il y ait des retombées. Ici, les retombées concernent essentiellement les disparités de style, d’attaque du son (moins « senties » que concertées visuellement). En l’absence d’une telle force structurante, les voix s’empilent, mais leur somme reste floue de contours (la chose est patente dans le Finale). À la surenchère spectaculaire des cordes répond un pianiste aux phrasés itinérants, parfois un peu lointain. Lugansky a le verbe rare et économe ; on lui note une certaine complaisance dans le mezzo-piano, infusé de pédale. Présence néanmoins reposante, calmant la vigueur du tout.
Le paon déploie grassement ses plumes dans l’Allegro du Trio op. 87. Loin du port altier de conceptions plus beethovéniennes, ici, c’est la courbe ascendante de la phrase, l’envol du son qui priment. On sent là une rupture avec les grandes interprétations du XXème siècle (souvent plus ramassées, plus « balistiques »), notamment dans l’introduction d’un onirisme direct, subjectif, sans alibi. Sorte d’arbitraire poétique, porteur d’illusions : on est prêt à sacrifier la justesse absolue de la pulsation, des dynamiques pour favoriser quelques instants de grâce supplémentaires. Porte-parole du plus beau silence (les courtes pauses entre variations) et du plus beau rythme (il sublime les 2 pour 3, et retire toute brusquerie des syncopes de l’avant-dernière variation), Lugansky s’épanouit magnifiquement dans l’Andante con moto. Venteux Scherzo, amorcé à une périlleuse vitesse ; le détail des notes disparaît sous le geste, impressionniste. Kavakos se démarque par la maniabilité de son jeu, une saine franchise qui rend le moindre trait opérant. Partout ce ne sont que grondements, bourrasques, défenestration, arpèges qui passent en galopant avant de s’évanouir aussitôt.