La Philharmonie affiche complet pour l'hommage que Piano quatre étoiles rend ce soir à Stephen Kovacevich, Britannique d'adoption, venu en 1959 de sa Californie natale à Londres pour y travailler avec Dame Myra Hess. Il y est resté, faisant sensation dès ses débuts au Wigmore Hall, enregistrant des disques marquants dont, entre autres merveilles, une intégrale des trente-deux sonates de Beethoven (Warner) considérée comme l'une des grandes versions et dont il y a tout lieu de penser que Hess l'aurait fêtée.
Deux mots sur cette glorieuse pianiste à laquelle le héros de la soirée voue un culte qui dépasse de loin la simple fidélité à un maître disparu. Figure de la vie musicale britannique, interprète géniale de Beethoven, Brahms, auteur de la célèbre transcription de Jésus que ma joie demeure de Bach, Dame Myra Hess était aussi vénérée des sujets britanniques pour son courage : pendant le Blitz, elle soutenait le moral des Londoniens, en jouant chaque jour ou presque son piano entouré – comme le public – de murs de sacs de sable, insensible aux sirènes qui hurlaient quand les bombes tombaient aveuglément. On ne peut qu'aimer une telle femme.
Stephen Kovacevich a invité Martha Argerich, son amie depuis des décennies, à le rejoindre, avec deux musiciens qui à eux deux n'ont pas son âge. Géza Hosszu-Legocky est un violoniste héritier de la culture tzigane... on ne peut plus rigoureusement éduqué au violon « classique ». Edgar Moreau est un violoncelliste dont le tout récent enregistrement de Tout un monde lointain de Henri Dutilleux (Warner) sidère par sa perfection instrumentale et la liberté avec laquelle le jeune homme s'ébroue dans une œuvre marquée au fer rouge par Mstislav Rostropovitch qui en fut le créateur.
Ce qui aurait pu être un beau défilé s'est révélé être un de ces concerts dont on regrette qu'ils ne soient pas filmés pour être immortalisés : en France, on ne sait pas faire. Tout a bien commencé, très bien plutôt, par une Sonate pour violon et piano op. 105 de Schumann, la première des deux qu'il a composées, toute de frissons tendres et complices, avec un piano portant, soutenant un archet à peine intimidé mais un peu quand même dans les premières secondes, dominées bien sûr, mais au vibrato inquiet comme celui d'un voix chuchotant son amour d'une voix tremblante. Magnifique infime faiblesse.