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La Bohème et son éternelle émotion à l'Opéra de Montpellier

Par , 24 mai 2024

Seul titre du grand répertoire à l’affiche de la saison de l’Opéra Orchestre national Montpellier (avec La Vie parisienne d'Offenbach proposée en décembre dernier), La Bohème fait logiquement le plein de la vaste salle du Corum pour les trois représentations programmées.

La Bohème à l'Opéra de Montpellier
© Marc Ginot

En coproduction avec l’Irish National Opera de Dublin, où le spectacle a été créé en novembre dernier, la mise en scène d’Orpha Phelan relève d’un traitement classique qui sert au mieux le chef-d’œuvre puccinien. La mansarde des premier et dernier actes est plutôt un espace entre intérieur et extérieur, à ciel ouvert, cerné de hauts murs à arcades et dont les grilles au niveau supérieur pourraient nous faire penser qu’on se trouve dans une cour de prison. Le dénuement de l’habitation et les meubles composés à partir de caisses de bois sont toutefois bien en ligne avec le livret de Giacosa et Illica, tout comme le Café Momus aux lumières à dominante rouge de l’acte II et la Barrière d'Enfer du suivant, où la sensation de froid est prégnante sous la neige qui tombe. Le jeu des protagonistes trouve son naturel au fur et à mesure de la représentation, en amenant un troisième acte absolument poignant, puis la mort de Mimì à la conclusion, qui ferait pleurer les pierres comme rarement.

La Bohème à l'Opéra de Montpellier
© Marc Ginot

Le premier maître d’œuvre de cette pleine émotion, qui déborde aux moments les plus dramatiques, est sans doute le chef américain Roderick Cox, tout récemment nommé directeur musical de l'Opéra Orchestre national Montpellier et qui prendra ses fonctions en septembre prochain. Sa lecture magnifie la partition par son attention constante portée aux détails, certains choix de tempos originaux mais très justes, qui amènent des nuances aux contrastes renforcés. Sa conduite musicale oscille avec bonheur entre lyrisme d’un grand souffle pour les moments amoureux, remarquablement joués ici par les pupitres de cordes et bois, et les climax plus démonstratifs pour les passages les plus tragiques, mais tout en évitant de saturer en décibels.

Le plateau vocal est globalement de bon niveau, à commencer par les deux titulaires des rôles principaux. Effectuant ce soir ses débuts dans l’Hexagone, la soprano polonaise Adriana Ferfecka est dotée des moyens requis pour composer une très touchante Mimì, alliant musicalité, jolie qualité de timbre sur l’étendue et une capacité appréciable à varier ses nuances fortepiano pour émettre certains suraigus en mezza voce.

Long Long (Rodolfo) et Adriana Ferfecka (Mimì)
© Marc Ginot

Son Rodolfo est le ténor chinois Long Long, à la voix d’une agréable couleur ensoleillée, au style élégant et au son bien concentré qui projette la partie aigüe avec vaillance, dès son air d’entrée « Che gelida manina ». Même si l’on perçoit chez lui de très légers signes de fatigue à l'acte II (aigus un peu tirés et intonation moins parfaite), la performance du chanteur reste remarquable.

Les autres bohèmes, tout aussi jeunes que le couple vedette, forment un groupe moins homogène vocalement. Le meilleur est le Marcello de Mikołaj Trąbka, au timbre séduisant et bien épanoui, en particulier dans son registre supérieur. Son confrère baryton Dominic Sedgwick en Schaunard se trouve quant à lui rapidement en difficulté – son instrument au volume discret, inconfortable dans la partie grave, craque une note dès le premier acte… peut-être un effet du trac ? La basse Dongho Kim assume un Colline correct, d’un creux dans le grave pas spécialement abyssal, mais déroulant sans problème son air de la « Vecchia zimarra ».

La Bohème à l'Opéra de Montpellier
© Marc Ginot

Précédemment entendue à Montpellier en Gilda (Rigoletto) et Nanetta (Falstaff), la soprano Julia Muzychenko assure crânement son rôle de Musetta, séductrice au grand cœur. Son air d’entrée « Quando me'n vo », déroulé sur une ligne aérienne raffinée, lui donne l’occasion d’un petit déshabillage à partir de son frac avec chapeau haut-de-forme, élément visuel caractéristique de l’intention de la metteuse en scène de situer l’action dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Les comprimari marquent moins, en particulier le discret Yannis François qui cumule Benoît et Alcindoro. Acteur principal du deuxième acte, le chœur montpelliérain se montre dynamique et bien en place, aux côtés des enfants d’Opéra Junior, un soupçon en avance sur le rythme à leur première intervention.

Malgré ces petites réserves, la magie opère une fois encore et on ne peut qu’être déchiré par les deux ultimes appels – « Mimì... Mimì... » – de Rodolfo devant son aimée défunte.


Le déplacement d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie.

****1
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“La lecture de Roderick Cox magnifie la partition par son attention constante portée aux détails”
Critique faite à Opéra Berlioz (Le Corum), Montpellier, le 22 mai 2024
Puccini, La bohème
Opéra Orchestre National Montpellier
Roderick Cox, Direction
Orpha Phelan, Mise en scène
Matthew Haskins, Lumières
Orchestre national de Montpellier Occitanie
Chœur de l'Opéra national Montpellier Occitanie
Long Long, Rodolfo
Adriana Ferfecka, Mimì
Mikołaj Trąbka, Marcello
Julia Muzychenko, Musetta
Dominic Sedgwick, Schaunard
Dongho Kim, Colline
Yannis François, Benoît, Alcindoro
Hyoungsub Kim, Parpignol
Laurent Sérou, Customs Officer
Noëlle Gény, Chef de chœur
Chœur d'Enfants Opera Junior
Laetitia Toulouse, Chef de chœur
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