Dernier des opéras de Mozart, La Clémence de Titus n'a jamais véritablement acquis ses lettres de noblesse auprès du grand public. Trop longtemps resté dans l'ombre de ses glorieux prédécesseurs (Cosi fan tutte, La Flûte enchantée...), un certain nombre de préjugés tenaces se sont accumulés sur son compte. Répondant à une commande officielle de l'empereur Léopold II d'Autriche, Mozart aurait ainsi composé cet opéra trop hâtivement, afin de se conformer aux délais, en usant d'une forme jugée conformiste et rétrograde par ses détracteurs : celle de l'opera seria en deux actes, déjà passée de mode au moment de sa première représentation en 1791.
Mais au-delà des querelles de musicologues, ce défaut de notoriété est peut-être dû davantage à l'exigence intellectuelle de son sujet qu'au conservatisme stylistique de sa composition. En effet, La Clémence de Titus se situe dans le paysage mozartien à l'opposé de ses opéras au caractère léger - mais néanmoins profond – dont l'argument tient plus de l'étude de mœurs que du drame. En nous faisant revivre un épisode demeuré célèbre de l'Antiquité romaine, Mozart s'attache ici, avec l'appui de son librettiste Caterino Mazzola, à rendre palpables les passions extrêmes et les conflits moraux qui agitent les profondeurs de l'âme humaine.
On pouvait donc s'attendre de la part de l'Opéra National du Rhin à ce que la version strasbourgeoise de La Clémence se pare d'une mise en scène grave et solennelle, voire emphatique. Heureusement, il n'en était rien.
Au lever de rideau, première surprise : les décors détonnent par leur allure vintage, tout droit sortie de l'Italie des années 50. Une plate-forme tournante disposée au milieu de la scène nous donne à voir quatre lieux différents séparés par des cloisons pour la majorité transparentes. Chaque décor étant symbolique du personnage qui l'habite, on aura par exemple un intérieur classieux et narcissique pour l'instigatrice du complot visant à tuer Titus, à savoir Vitellia, que Jacquelyn Wagner incarne en Grace Kelly manipulatrice, et un décor tout de marbre noir pour figurer le palais de l'empereur, campé par le ténor allemand Benjamin Bruns. Une avant-scène est malgré tout préservée pour la mise en valeur des personnages au moment de leurs arias respectifs.