Dernier opéra de Mozart composé et créé l’année de sa mort en 1791, La Flûte enchantée détient plusieurs niveaux de lecture. Conte merveilleux peuplé d’objets et de personnages magiques, c’est également une allégorie de la quête du Bien et de la Connaissance, et un opéra maçonnique où les rites d’initiation et les symboles sont repris ouvertement.
Au manichéisme de l’opéra, Robert Carsen répond par une mise en scène contemporaine, identique à la production de 2014. Elle installe les chanteurs sur un plateau verdoyant, représentant le Bien et la Connaissance, où un système de vidéo projette des arbres dans le fond et devient le symbole de l’état psychique des protagonistes. Noirs et blancs s’y affrontent : aux trois Dames de compagnie de la Reine de la Nuit, semblables à des veuves en noire italiennes sorties tout droit d’un film, s’oppose à la fin de l’opéra la tenue immaculée des Initiés du royaume de Sarastro. Une tenue que porte Tamino (Mauro Peter) dès le début, lorsqu'il surgit de terre pour échapper au monstre, comme annonce de sa « prédestination ». Mais cette dichotomie n'est pas toujours très claire. La Reine de la Nuit se voit par exemple attribuer un rôle ambigu : elle embrasse Tamino sur la bouche, tout comme Sarastro.
Le caractère universel de la mise en scène contraste avec certains passages datés du livret. Les Maures – en l’occurrence Monostatos – y apparaissent comme des êtres lubriques et violents et les femmes comme des personnages dont il faut se méfier : la Reine de la Nuit incarne le Mal. Et si Pamina accède à la connaissance – à une époque où la présence des femmes était interdite dans les loges – un homme doit la guider comme le rappelle Sarastro.
L’usage de la vidéo (Martin Eidenberger) produit des effets contrastés. Les quatre saisons de la forêt sont intéressantes – l'hiver pour exprimer des envies suicidaires, ou le printemps lors de la rencontre entre Papageno et Papagena – tandis que la transposition du portrait de Pamina en une projection de son visage sur toute la scène de Bastille est osée et par moments peu convaincante : filmer en gros plan pendant de longues minutes un visage qui doit exprimer l’amour est une gageure.