« Le fanatisme est un monstre qui ose se dire le fils de la religion » : ces mots de Voltaire, projetés sur le rideau final de l'Opéra Bastille, résument à eux seuls tout le sens de cette Vestale. Confiée à Lydia Steier, remarquée la saison dernière pour une lecture radicale de Salomé de Strauss, cette nouvelle production marque le retour au bercail du magnum opus de Gaspare Spontini qui, malgré sa création acclamée à l’Opéra de Paris en 1807, était absent de ses affiches depuis 150 ans – dans sa version originale en français. Au vu de cette soirée enflammée, on se demande bien pourquoi !
Certes le synopsis n’est pas des plus palpitants : de retour au pays après cinq années de campagne militaire, Licinius est accueilli en héros mais se lamente de ne pouvoir retrouver son amante Julia, entretemps devenue vestale, les pouvoirs politiques et religieux s’associant pour contrecarrer les plans des deux idéalistes – près d’un siècle plus tard, Puccini ne proposera pas autre chose avec Tosca. Certes le livret d’Étienne de Jouy, quoique léché, ne propose pas beaucoup de péripéties – mais Tristan, adoptant la même épure, n’en proposera pas plus, et Wagner ne cessera par ailleurs de louer l’œuvre de son aîné. L’oubli paraît d’autant plus injuste que musicalement, Spontini se montre débordant d’inspiration : orchestration digne d’un Gluck, instruments en coulisse, double chœur, ballet, continuité organique qui s’affranchit de la succession d’airs variés… Non seulement le grand opéra à la française est esquissé, mais la révolution wagnérienne est déjà en marche.
Une aubaine pour Lydia Steier qui, transposant la légende antique dans un régime totalitaire moderniste, impose derechef une vision hyperréaliste et sans concession. Les décors d’Étienne Pluss, déjà, font froid dans le dos : l’ouverture laisse entrevoir un grand pan de mur en béton, maculé du sang des cadavres pendus aux pieds par des miliciens. L’enceinte, oppressante, coulissera côté jardin pour révéler l’envers du décor : le grand amphithéâtre de la Sorbonne, délabré, servira autant de gradin pour le défilé militaire de l’acte I que de temple aux vestales qui y entretiennent le feu sacré (ici grand autodafé !) dans le II, ou encore de tribunal populaire dans le finale.
Société militaire à l’extérieur, fanatisme religieux et profanation du savoir à l’intérieur : une porte sécurisée unifiera ces deux visages complémentaires du fascisme. Licteurs et vestales n’auront de cesse de s’associer sous la formule projetée Talis est ordo deorum (tel est l’ordre divin). Fluide, pertinente, éloquente, parvenant à twister le déconcertant happy end, la mise en scène de Lydia Steier dénote un véritable style, manifeste dans cette façon bien à elle de jouer du parallélisme : il était vertical dans Salomé, il est horizontal dans La Vestale ; bourgeoise surplombant le prolétariat hier, Église et légion main dans la main aujourd’hui. Une authentique signature que fidélise peut-être la Grande Boutique, malgré ses traditionnelles huées.