Andante lugubre – la qualification insolite du mouvement par lequel débute la Francesca da Rimini de Tchaïkovski est explicite à souhait. La « fantaisie symphonique d’après Dante » déploie les paysages de steppes et de montagnes infernales sur lesquelles hurle le vent, par pupitres isolés d’abord, puis dans toute la fureur dont le tutti est capable. L’amour impossible de la jeune fille de Ravenne et de Paolo Malatesta, éclot dans un très touchant solo de clarinette, dont la simplicité pathétique est à la hauteur des sentiments engagés de part et d’autre. La langueur mélodique, à l’image du désir des amoureux, finit cependant par être emportée par la fureur du mari de l’héroïne éponyme, frère de l’amant : son délire culmine dans le double meurtre que l’orchestre entérine par de puissants coups finals.
Prolongeant le thème de l’amour fatal du Moyen Âge, la figure tout aussi romantique du « violon du Diable » fait l’objet de la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov. Andreï Korobeinikov a ici rejoint l’orchestre pour vingt-quatre variations, dont les atmosphères et les tempi très contrastés plaisent à l’Auditorium presque complet. La technicité prime cependant, le martèlement du piano l’emporte nettement sur les moments plus délicats. Inévitable conséquence, les fascinants dialogues entre solistes d’orchestre et piano, s’ils sont mal équilibrés, peuvent tournent au soliloque : le basson, par exemple, se noie malheureusement sous la présence outrancière de son partenaire. Des défauts sont perceptibles aussi dans la jonction de l’orchestre et du soliste : toutes les propositions de ce dernier ne font pas l’objet d’une réactivité adéquate. Les cordes tirent d’un côté, les cuivres d’un autre – alors que le pianiste lui-même a déjà lâché la corde. Si son bis montre une certaine élégance, l’émotion y semble à nouveau étrangement absente, tout comme les nuances et les contrastes.
La sixième symphonie de Tchaïkovski, quant à elle, efface rapidement la plupart des réserves. C’est ici que l’Orchestre de Saint-Pétersbourg montre toute la splendeur qui est la sienne, notamment dans le travail sur le son. L’Adagio est marqué par la sombre inquiétude des contrebasses et des bassons, relayée par la clarté des flûtes et l’époustouflante précision des cuivres. Remarquable, d’ailleurs, depuis le début de la soirée, l’homogénéité du corps sonore et de ses constituantes. Je ne crois pas avoir déjà entendu un orchestre de cette taille - une centaine de musiciens - articuler d’une façon aussi unanime : un grande attention est accordée à l’unisson de chaque pupitre, au point qu’on a quasiment toujours le sentiment qu’il n’y a réellement qu’une seule voix qui se fait entendre là où, par exemple, huit contrebassistes œuvrent de concert, comme à l’aveugle. Les langueurs de la « Pathétique », très inspirées, n’en sont que plus douloureuses.